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Vie privée

Un robot pour grand-maman ?

Par : Maryse Guénette
Photo: Alex Knight (Unsplash)

Les robots sont à nos portes. Et les fabricants ciblent les aînés. Pour le meilleur ou pour le pire? Une étude permet de savoir ce qu’en pense cette clientèle.

Alors que la pandémie de COVID-19 jette un nouvel éclairage sur l’isolement des aînés, des entreprises technologiques travaillent à créer des dispositifs et applications visant justement à briser cet isolement. « Les circonstances s’y prêtent », dit  Andrea Slane, professeure d’études juridiques à l’Université Ontario Tech et coauteure d’une étude sur le sujet. En effet, le nombre d’aînés augmente, la pandémie, qui leur a permis d’apprivoiser les nouvelles technologies, les incite à rester dans leur maison le plus longtemps possible, et ceux qui deviendront des aînés dans les 10 prochaines années sont déjà relativement habiles avec la technologie.

L’étude en question s’intitule Involving Seniors in Developing Privacy Best Practices : Towards Responsible Development of Social Technologies for Seniors (en anglais seulement). Elle été réalisée par l’Université Ontario Tech (Institut universitaire de technologie de l’Ontario).

Nous voulions recueillir les points de vue des aînés sur les dispositifs et applications qu’ils peuvent utiliser ainsi que sur ceux qui pourraient être créés dans l’avenir. Nous voulions aussi savoir ce qu’ils font pour protéger leur vie privée, car ils s’y prendront de la même manière avec de nouveaux dispositifs. »

Andrea Slane, professeure d’études juridiques à l’Université Ontario Tech et coauteure de l’étude

Des discussions révélatrices

Dans le cadre de l’étude, les participants aux groupes de discussion ont échangé sur ce que leur permettent de faire les nouvelles technologies. Ils ont aussi regardé des vidéos promotionnelles présentant un robot personnel à usage domestique, puis y ont réagi. Ceux qui ont participé à des ateliers ont eu à créer un personnage fictif auquel ils devaient ensuite se référer pour répondre à des questions.

Qu’en est-il ressorti ? Des récits d’expériences diverses. Ainsi, utiliser la technologie pour prendre des rendez-vous et obtenir des rappels semblait plaire à ceux qui le faisaient déjà, mais paraissait trop compliqué à ceux qui ne s’y étaient jamais aventurés. Par ailleurs, de nombreux participants étaient habitués à utiliser la technologie pour entrer en contact avec leur famille et des amis. Notons que plusieurs ont aussi affirmé craindre que l’utilisation de la technologie diminue leurs capacités cognitives.

Les participants se sont montrés très frileux en ce qui a trait à l’utilisation des technologies pour effectuer des achats en ligne ou des opérations financières. La moitié d’entre eux ne faisaient pas de transaction en ligne, et plusieurs parmi les autres préféraient utiliser alors leur ordinateur plutôt qu’un téléphone intelligent ou une tablette. Aussi, bien des participants préféraient se rendre à leur institution financière pour parler à un caissier. Ce comportement n’était pas toujours justifié par un plus grand besoin de sécurité : plusieurs se sont dits préoccupés par l’impact des nouvelles technologies sur les perspectives d’emploi dans les institutions financières.

Après avoir visionné des vidéos promotionnelles au sujet de robots personnels à usage domestique, de nombreux aînés ont affirmé ne pas vouloir d’un tel appareil chez eux – la seule utilité qu’ils y voyaient était l’obtention d’aide en cas de chute. Certains croyaient cependant que ces appareils pourraient être utiles à d’autres personnes dont les besoins étaient plus grands (à cause de troubles cognitifs ou de problèmes de mobilité, par exemple).

En revanche, les participants ont déploré que les nouvelles technologies soient coûteuses, difficiles à configurer et nécessitent des mises à jour constantes – ils ont d’ailleurs mentionné vouloir des instructions faciles à comprendre. Ils ont aussi affirmé qu’ils seraient plus ouverts à utiliser des robots si ces derniers ne présentaient pas de tels problèmes.

Dans un autre ordre d’idées, ils ont été nombreux à s’inquiéter de la dépendance que pourraient entraîner les nouvelles technologies ainsi que de l’impact qu’elles pourraient avoir sur leur capacité à se souvenir et à décider par eux-mêmes. Cela dit, ils ne pensaient pas qu’un robot puisse exprimer une réelle empathie ou de vrais signes d’amitié.

 

Et la vie privée ?

À ce sujet, les chercheurs ont obtenu une variété de points de vue. Ainsi, certains participants craignaient de perdre le contrôle de leurs informations financières, ou encore d’être victimes de pirates informatiques ou de fraudeurs. D’autres étaient préoccupés de la confidentialité des données personnelles lorsque l’utilisation était liée à la santé – un rappel pour une prise de médicaments, par exemple. Enfin, bien que peu de participants aient déjà été en contact avec un assistant numérique, nombre d’entre eux craignaient qu’un tel dispositif permette d’écouter leurs conversations et de partager l’information ainsi recueillie.

Lors des ateliers, des participants ont indiqué que le personnage fictif qu’ils avaient créé et auquel ils se référaient devait pouvoir choisir comment ses informations seraient traitées. Ils ont fait valoir l’importance de la transparence et d’un consentement significatif.

Les développeurs qui veulent créer des dispositifs et des robots pour les aînés devront tenir compte de ce que ceux-ci acceptent de dévoiler et de ce qu’ils veulent garder confidentiel. »

Andrea Slane

Si certains participants étaient très sensibles à la confidentialité des données, d’autres étaient simplement prudents tout en faisant confiance aux développeurs. Par ailleurs, les participants voyaient un grand avantage à utiliser des appareils pour le soutien social et étaient relativement à l‘aise avec la collecte et le partage d’informations dans cette situation.

Notons que, en ce qui a trait à la collecte et au stockage d’informations, les participants préféraient que cela soit fait par un robot personnel plutôt que par un assistant numérique. De même, ils semblaient faire davantage confiance aux entreprises futures (qu’ils semblaient idéaliser) qu’aux entreprises actuelles (dont ils avaient une conception plus réaliste).

 

Seulement à certaines conditions

Réussira-t-on à mettre sur le marché des dispositifs et des robots répondant vraiment aux besoins des aînés tout en protégeant adéquatement leurs renseignements personnels ? Mme Slane croit que oui. « Je suis fascinée par certains dispositifs, mais je ne me cache pas la tête dans le sable, dit-elle. Je veux voir un développement responsable de cette industrie. »

Selon la spécialiste, il faut tout de même rester prudent. « Les entreprises investissent beaucoup d’argent pour fabriquer des robots performants parce que le marché est là, dit-elle, mais aussi parce qu’elles y croient. Les développeurs qui y travaillent sont des idéalistes. Ils se posent des questions sur ce qu’il faut faire pour que les renseignements personnels des usagers soient protégés. Mais ils se disent que c’est un problème que d’autres pourront régler. Cela devra changer. » Le type d’entreprise impliqué doit aussi être prise en considération.

Si un produit est conçu par une organisation médicale, une certaine confiance s’installe. Mais si le fabricant est une entreprise de média social, on peut s’interroger. Sera-t-elle capable d’offrir un tel service sans être contaminée par la manière dont elle fonctionne habituellement ? »

Andrea Slane

Cela est d’autant plus important que les renseignements à protéger sont particulièrement sensibles. « Il faudra avoir des discussions sur la manière dont un robot peut avertir les utilisateurs si quelque chose de frauduleux se produit », dit Mme Slane.

Enfin, selon la spécialiste, on doit aussi tenir compte du public cible, ou plutôt de tous les publics cibles. « Il faut déterminer de quel niveau de protection ont besoin les aînés, indique Mme Slane. Ce ne sera pas facile parce que plusieurs ne sont pas à l’aise avec la technologie. Les aînés ne sont pas tous vulnérables, mais certains le sont. Et il faut agir en conséquence. »

L’étude

Involving Seniors in Developing Privacy Best Practices : Towards Responsible Development of Social Technologies for Seniors (Université Ontario Tech, 2020) a été réalisé par Andrea Slane, Isabel Pedersen et Patrick C.K. Hung. Cette étude avait pour but de recueillir le point de vue des aînés sur les dispositifs et applications technologiques qui existent sur le marché et qui pourraient devenir de plus en plus populaires au fil des ans, ainsi que sur leurs attitudes et préoccupations en matière de vie privée. « Les participants ont tous été recrutés dans des centres pour personnes âgées, dit Andrea Slane, professeure d’études juridiques à l’Université Ontario Tech et coauteure de l’étude. Il s’agissait donc de personnes socialement actives. Si la plupart d’entre elles étaient connectées, d’autres n’avaient qu’un téléphone fixe. »

L’équipe de chercheurs a tenu six groupes de discussion dans l’ensemble du Canada ainsi que deux ateliers exploratoires en Ontario. Lors des groupes de discussion, l’animateur s’est d’abord intéressé aux attitudes des participants à l’égard de la technologie servant au soutien social. Puis, après avoir présenté une vidéo faisant la promotion d’un robot personnel à usage domestique, il a prêté attention à leurs réactions quant aux fonctions de soutien social pouvant être remplies par un robot. Il s’est aussi soucié des stratégies que les participants utilisaient pour protéger leurs données personnelles, ainsi que de leur point de vue sur la protection de leurs données. Lors des ateliers, les chercheurs se sont plutôt intéressés aux problèmes de confidentialité et aux solutions à propos des technologies de soutien social actuelles et futures.