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Vie privée | Rubriques

Protection des renseignements personnels : les ados ont des choses à dire

Par : Maryse Guénette
Crédit photo: Ethan Johnson (UnSplash)

Vous croyez que les ados n’en ont rien à faire de la protection de leurs renseignements personnels ? Erreur ! Même que, quand on leur explique les différents enjeux en la matière, ils proposent des solutions inspirantes.

Vous ne lisez jamais les clauses de consentement que vous proposent les différentes plateformes en ligne, car vous les trouvez trop longues et trop compliquées ? Ou encore parce que vous vous dites que ça ne vaut pas la peine ; quelle qu’en soit la teneur, il vous faudra cliquer sur « J’accepte » pour avoir accès au site convoité… En cette matière, les adolescents pensent et se comportent comme vous, selon l’étude Les jeunes Canadiens s’expriment : une recherche qualitative sur la protection de la vie privée et le consentement, réalisée récemment par HabiloMédias.

Ce qui ne veut pas dire que la protection de leur vie privée laisse les jeunes indifférents. « Plusieurs de nos recherches démontrent au contraire qu’ils s’en préoccupent beaucoup », dit Samantha McAleese, coauteure de l’étude et associée de recherche et d’évaluation à HabiloMédias, un organisme qui étudie le comportement des jeunes depuis quelque 20 ans. « Par cette nouvelle étude, on a voulu savoir si les adolescents ont l’impression de donner un consentement valable aux différents sites web et plateformes sur lesquels ils se rendent.  On a aussi voulu savoir s’ils comprennent les politiques en matière de vie privée et, sinon, ce qui pourrait les aider à mieux les saisir. »

 

Ce qui dérange, ce qui cloche

La première étape de l’étude a été d’informer les adolescents réunis pour l’occasion. On leur a donc présenté une vidéo afin qu’ils aient tous la même information de base. Puis on les a amenés à partager leurs perceptions et leurs expériences en ce qui a trait au consentement en ligne.

Quelles sont les pratiques des entreprises qui les dérangent ? La question de la géolocalisation a été abordée.

Les jeunes aiment bien être localisés parce que cela leur permet d’obtenir des suggestions lorsqu’ils magasinent, ou encore du contenu qui les intéresse. Mais ils voudraient savoir, au jour le jour, s’ils sont suivis, par quelle application ils le sont et quelle conséquence cela peut avoir dans leur vie. Ils voudraient aussi pouvoir allumer ou éteindre à leur convenance le mécanisme de traçage. »

Samantha McAleese, coauteure de l’étude et associée de recherche et d’évaluation à HabiloMédias

Mais leur principale préoccupation est ailleurs. En fait, les jeunes s’inquiètent surtout de l’impact que l’information qu’ils ont mise en ligne pourrait avoir sur leur avenir. Ainsi, ils se demandent s‘ils risquent de se faire refuser l’accès à un collège, une université ou encore un emploi à cause de ce qu’ils ont publié sur le net. « Nous pouvons tous penser à des choses que nous avons faites dans notre jeunesse, et auxquelles nous ne voudrions pas qu’un futur employeur ait accès, dit Mme McAleese. Ce qui est différent aujourd’hui, c’est que plusieurs de ces choses se passent en ligne. Ce que les jeunes font devient alors permanent ou risque de le devenir. »

Pour pallier cela, plusieurs ont indiqué vouloir être en mesure de retirer l’information publiée, et même de bénéficier d’un « droit à l’oubli » ou d’un « droit d’effacement ».  Notons qu’une telle mesure existe en Union européenne en vertu du Règlement général sur la protection des données. Selon les termes utilisés dans l’étude de HabiloMédias, ce règlement « donne aux particuliers le droit de demander aux organisations de supprimer leurs renseignements personnels dans des circonstances particulières ». Notons que le Québec et l’Ontario étudient actuellement la possibilité de donner aux citoyens un droit à l’oubli.

Enfin, les jeunes participants se sont dit surpris, voire trahis, de découvrir les conséquences potentielles d’une collecte de données en ligne. Alors qu’ils étaient invités à se prononcer sur les politiques de protection des renseignements personnels et les processus de consentement utilisés actuellement, une adolescente a mentionné qu’elle trouvait étrange « de devoir accepter des conditions d’utilisation si on ne les a pas lues ». Un autre participant a dit que le problème, c’est que l’on doit « consentir à trop de choses en même temps ». Le rapport soulève par ailleurs le contraste entre « l’opacité des politiques sur la protection des renseignements personnels » et « la simplicité du processus pour obtenir un consentement ».

 

Tout pour régler les problèmes

On ne s’est pas contenté d’écouter les jeunes. On leur a aussi proposé d‘illustrer ce qui pourrait être fait pour améliorer les choses. Cette séance de création a été précédée d’un remue-méninges. « Nous voulions nous assurer que tous comprenaient bien de quoi il était question et savaient ce qu’est un consentement valable pour le Commissariat à la protection de la vie privée. »

Quelles ont été leurs propositions ? Ils ont d’abord suggéré de simplifier le langage (en utilisant des mots, des expressions et des phrases faciles à comprendre), de disposer l’information de manière aérée, d’employer des sous-titres et des puces afin d’aider le lecteur à s’y retrouver, d’opter pour un caractère gras là où on veut attirer l’attention, de parsemer le texte d’images et de vidéos. Des recommandations semblables à celles que font les tenants du langage clair, quoi !

D’autres propositions plus audacieuses ont également été faites. Ainsi, on a suggéré que soient mis en place des mécanismes permettant de s’assurer que l’utilisateur a bien lu et compris la politique avant de l’accepter. Parmi eux, mentionnons l’ajout d’une minuterie (la politique reste à l’écran durant une certaine période de temps minimale afin qu’elle puisse être lue), d’un formulaire (il permet à l’utilisateur de donner son consentement à certaines choses, mais pas à d’autres) ou de fenêtres contextuelles (elles rappellent les conséquences potentielles de la publication d’un contenu au moment même où l’utilisateur s’apprête à y procéder). On a aussi proposé qu’il y ait un mécanisme permettant de revenir en arrière en tout temps.

Tout cela s’est incarné dans une série de prototypes plus intéressants les uns que les autres dont l’industrie pourrait s’inspirer.

De la réflexion et des suggestions des jeunes sont nées des recommandations aux décideurs et aux plateformes virtuelles. Par exemple, les auteurs de l’étude recommandent que les consommateurs aient un accès plus facile aux conditions d’utilisation et aux politiques de protection des renseignements personnels, qu’ils soient mieux renseignés sur ce qui sera fait de leurs renseignements, qu’ils puissent avoir plus de contrôle sur les renseignements fournis et qu’ils puissent bénéficier d’une meilleure protection. Il est également recommandé que les décideurs tiennent compte des préoccupations et suggestions des jeunes pour établir une règlementation et que les entreprises fassent de même pour créer des politiques sur la protection des renseignements personnels ainsi que des processus de consentement.

L’étude

L’étude Les jeunes Canadiens s’expriment : une recherche qualitative sur la protection de la vie privée et le consentement (HabiloMédias, 2020) donne la parole à des jeunes de 13 à 16 ans, une clientèle qui fréquente couramment les réseaux sociaux. Elle s’intéresse principalement à leur opinion quant au consentement – celui qu’ils croient avoir donné aux plateformes, celui qu’ils leur ont effectivement donné et celui qu’ils aimeraient pouvoir leur donner.

Pour obtenir des résultats, les auteurs ont réalisé, à Ottawa, trois groupes de discussion rassemblant au total 22 jeunes de 13 à 16 ans. Ils ont d’abord présenté aux participants une vidéo portant notamment sur le consentement dans un contexte de collecte de données et sur le droit à la vie privée en vertu des lois fédérales. Ils ont ensuite animé une discussion portant sur leurs connaissances et leurs expériences. Enfin, ils les ont invités à concevoir un « prototype », soit un système qui permettrait de recueillir un consentement valable.