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Transport

Se procurer de l’assurance auprès d’un concessionnaire automobile : un pensez-y bien

Par : Maryse Guénette
CRÉDIT PHOTO : Obi Onyeador (Unsplash)

Rémunération astronomique, pratiques de vente déloyales, coûts élevés, taux d’indemnisation faméliques… Tels sont les constats du premier rapport de l’Autorité des marchés financiers portant sur la vente d’assurance par les concessionnaires.

Quiconque a déjà acheté un véhicule neuf sait qu’il y a là place à de la sollicitation. Et que l’information fournie au consommateur n’est pas toujours des plus complètes. Or, pour la période allant du 15 juillet 2013 au 15 juin 2019, 74 % des signalements liés à la distribution d’assurance sans représentant qu’a reçus l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’organisme qui encadre le système financier québécois, étaient attribuables à un concessionnaire.

Forte de ces signalements, l’AMF a voulu savoir ce qui était à l’origine de l’insatisfaction des consommateurs. Elle a donc demandé aux assureurs de lui fournir des données en lien avec la vente d’assurance. Vingt d’entre eux l’ont fait en lui procurant de l’information pour les années 2016 à 2018. Ce sont donc ces données que l’organisme a étudiées. Ses constatations se trouvent dans le Rapport d’analyse des divulgations 2016-2018 des assureurs. Et elles sont stupéfiantes !

 

Rémunération élevée

Au Québec, les concessionnaires n’ont le droit de vendre au consommateur que deux produits d’assurance, soit une assurance de remplacement et une assurance vie, santé et perte d’emploi. Ils font généralement affaire avec un nombre restreint d’assureurs. Selon Mario Beaudoin, directeur des pratiques de distribution alternatives en assurance à l’AMF, ils n’étaient essentiellement que deux à offrir ces produits au moment de la réalisation de l’étude.

C’est au moment de la signature des documents d’achat de la voiture qu’on fait de la sollicitation, estimant que les circonstances s’y prêtent. « Le consommateur est heureux, dit M. Beaudoin. C’est un événement excitant d’acheter un véhicule. Mais ça va vite, il y a beaucoup de papiers à signer, beaucoup de chiffres. Plusieurs consommateurs ne sont peut-être pas à l’aise avec tout ça. Alors, on facilite le processus en incluant la vente de produit d’assurance. »

Pour être au bon endroit au bon moment, les assureurs versent une rémunération aux concessionnaires. Et celle-ci est extrêmement élevée. Seulement pour l’année 2018, les concessionnaires ont reçu près de 237 millions de dollars en rémunération. Or, durant la même année, ils ont vendu pour à peine plus de 424 millions de dollars de primes. Leur rémunération représente donc quelque 56 % des primes payées. À eux seuls, ces chiffres sont préoccupants.

 

Pratiques déloyales

Il y a d’autres problèmes, dont les pratiques de vente, qui sont fort discutables. « Certains consommateurs nous disent : ’Au début, on m’a donné une série de renseignements à propos de l’assurance, puis on m’a parlé d’antirouille, puis on est revenu à l‘assurance’, raconte M. Beaudoin. Ce n’est pas une situation optimale pour le consommateur. »

Il y a aussi que le prix est rarement indiqué clairement.

 

 

Quand les gens se font offrir l’assurance, on ne leur dit pas : ‘Votre assurance va coûter 2 300 $’. On leur dit plutôt : ‘Votre assurance est incluse dans le prix ; ça va être tant par mois.‘ »

Mario Beaudoin, directeur des pratiques de distribution alternatives en assurance à l’Autorité des marchés financiers

 

Parfois aussi, le concessionnaire exerce une pression indue afin que le consommateur achète de l’assurance auprès de lui, allant même jusqu’à lui dire que cette assurance est obligatoire. « Mais c’est faux, dit Mario Beaudoin. Ce n’est jamais obligatoire d’acheter de l’assurance chez un concessionnaire, sauf dans de très rares cas. Il est important que le consommateur sache qu’il peut toujours se tourner vers son propre assureur pour obtenir les protections dont il a besoin. »

À ceux qui refusent d’acheter le produit, des concessionnaires vont jusqu’à proposer de prendre l’assurance pour une période de 180 jours, puis de la résilier. Or, 180 jours, c’est le temps qu’il faut pour que le concessionnaire puisse obtenir sa commission de l’assureur.

Ce problème n’est pas nouveau. L’AMF a d’ailleurs plusieurs fois essayé de le régler en allongeant le délai avant l’obtention de la rémunération – qui était au début de 10 jours avant d’être augmenté à 30, puis à 90 et, enfin, à 180 jours. Chaque fois, l’industrie a ajusté ses pratiques. « Généralement, on s’attend à ce qu’il y ait une corrélation entre la ‘durée d’acquisition de la rémunération’ et la durée de vie du produit acheté », dit M. Beaudoin. Notons qu’une police sur quatre achetée auprès d’un concessionnaire est résiliée avant la fin du contrat.

Les consommateurs qui acceptent d’acheter l’assurance pour une période de 180 jours sont souvent déçus. Ils croient que, lorsqu’ils annuleront leur assurance, leurs paiements diminueront. Mais ce n’est pas ce qui arrive. »

Mario Beaudoin

En fait, les paiements restent les mêmes, c’est le délai de remboursement qui diminue. Encore ici, il semble qu’il y ait un problème quant à l’information transmise au consommateur.

 

Produits chers et parfois inutiles

Le rapport dévoile aussi des lacunes du côté du coût des produits d’assurance et des protections offertes.

En ce qui a trait à l’assurance de remplacement, c’est d’abord le prix que l’on remet en question. Car bien que cette assurance soit semblable à la clause valeur à neuf des contrats d’assurance auto traditionnels, son coût est de 62 % plus élevé. D’où l’importance de comparer les produits offerts par le concessionnaire et ceux que l’on pourrait obtenir d’un assureur ou que l’on a déjà.

Pour cette même assurance, on s’inquiète aussi de la faible valeur de l’indemnisation accordée au consommateur. Ainsi, en 2018, l’assurance de remplacement coûtait en moyenne 2 005 $ alors que la valeur moyenne des indemnisations versées était de 2 851 $, une différence de seulement 846 $ !

Quant à l’assurance vie, santé et perte d’emploi, on se demande si le consommateur est toujours informé de ses nombreuses exclusions – celles-ci touchent par exemple les travailleurs saisonniers ou les travailleurs autonomes. Et on s’inquiète du grand nombre de réclamations faisant l’objet d’un refus – lorsque l’assurance est vendue par un concessionnaire, le taux de refus est de 29 % alors qu’il est de 5 % pour l’assurance courte durée et de 12 % pour l’assurance longue durée, des produits d’assurance collective équivalents. « J’ai du mal à imaginer qu’un consommateur puisse acheter de l’assurance en sachant qu’il n’y est pas éligible ou que le taux de refus est si élevé », dit M. Beaudoin.

Pour se procurer des produits correspondant à ses besoins, le consommateur aurait intérêt à s’informer avant de prendre sa décision. C’est d’ailleurs ce que conseille Mario Beaudoin, tout en précisant que l’AMF a mis en place une fiche de renseignements visant à informer les consommateurs de leurs droits, et que cette fiche doit lui être fournie avec l’offre d’assurance. Si le consommateur connaît la protection « valeur à neuf » offerte par son assureur et s’il sait de quelle assurance collective il bénéficie le cas échéant, il pourra agir avec discernement. Pour l’instant, cette attitude constitue d’ailleurs pour lui la meilleure manière de se protéger.

L’étude

Le Rapport d’analyse des divulgations 2016-2018 des assureurs a été publié par l’Autorité des marchés financiers (AMF) en juin 2020. Il porte sur l’offre de produits d’assurance par l’entremise de concessionnaires d’automobiles, de véhicules récréatifs et de véhicules de loisir au Québec. Se basant sur les données recueillies auprès de 20 assureurs pour les années 2016 à 2018, il brosse un portrait du marché des produits d’assurance offerts par les concessionnaires jusqu’au 31 décembre 2018. Il établit des balises susceptibles de permettre à l’AMF de mesurer les impacts de ses interventions et, ultimement, de contribuer à améliorer les pratiques des concessionnaires.

Ailleurs au Canada

Parce que l’étude dont il est question ici fait état de la situation au Québec, on pourrait penser qu’il s’agit de la seule province à rencontrer des problèmes liés à la vente d’assurance par les concessionnaires. Or, ce n’est pas le cas. Selon George Iny, président de l’Association pour la protection des automobilistes (APA), la situation serait parfois pire ailleurs.

Au cours des dernières années, l’APA a mené des enquêtes anonymes en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta. Celles-ci dévoilent que les consommateurs ont du mal à obtenir une copie du contrat d’assurance avant de s’engager et qu’ils doivent se fier à la parole du vendeur ou du directeur commercial, ou encore à l’information écrite qu’on lui présente. Elles révèlent aussi que les personnes âgées ou ayant des conditions médicales préexistantes ne sont pas toujours informées des exclusions dont elles font l’objet, au moment de la signature du contrat. Elles lèvent enfin le voile sur certaines failles dans la concertation entre l’organisme chargé de surveiller les pratiques des concessionnaires et celui chargé de surveiller la vente de produits d’assurance, une situation dont les concessionnaires tirent profit.