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Automobile: quand le financement est un leurre

Par : Jean-Benoît Nadeau

La qualité des voitures est meilleure que jamais, et les conditions de financement aussi. Or, les commerçants automobiles ont trouvé les moyens de s’en servir.

Les vendeurs d’automobiles n’ont jamais joui d’une très bonne réputation, et L’Enquête sur le financement dans la vente au détail des véhicules neufs a permis de constater que la chose est toujours vraie.

« Oui, les véhicules sont beaucoup plus durables qu’il y a 25 ans. Les taux d’intérêt sont très avantageux et les lois protégeant les consommateurs sont nettement meilleures, mais les pratiques d’affaires des concessionnaires se sont aussi “raffinées”, dit George Iny, directeur de l’étude de l’Association pour la protection des automobiles. Nous avons constaté des pratiques qui tiennent de l’extorsion et de la fausse représentation, et la loi n’est pas appliquée. »

L’enquête s’inscrit dans le mandat de surveillance de l’APA, qui célèbre ses 50 ans cette année. Son travail se caractérise par des recherches sur le terrain que réalisent des enquêteurs anonymes qui se font passer pour des acheteurs. Particularité de cette enquête : plutôt que de s’intéresser à la qualité des véhicules, elle portait sur la publicité et le financement. « Ça s’est révélé pire que ce à quoi on s’attendait », dit George Iny.

Ainsi, les enquêteurs ont constaté que le prix annoncé dans les médias était rarement le prix réel, comme la loi le prescrit. Seule une petite minorité de commerçants (3 sur 20 à Calgary, le double à Montréal) proposait un prix « tout inclus », qui est obligatoire au Québec et en Alberta (ainsi qu’en Saskatchewan, au Manitoba et en Ontario). Les autres commerçants pouvaient ajouter 1 500 $ ou 2 000 $ en frais divers (administration, transport, inspection), ce qui avait pour effet de doubler, voire tripler la marge bénéficiaire sur certains modèles. « Quand 80 % des commerçants s’adonnent aux mêmes pratiques, ce n’est plus du hasard, c’est un système », dit George Iny.

Le financement comme outil de vente

L’autre surprise est venue d’une nouvelle pratique, les ventes privées, qui se comptent désormais par centaines sinon par milliers au Canada. Il s’agit de ventes sur invitation auxquelles les concessionnaires convient leurs « meilleurs » clients 24, 36 ou 48 mois après un achat. On offre aux clients un verre de vin, des primes, mais l’objectif est de leur refiler un nouveau prêt sur un nouveau véhicule.

On leur dit : “Pour le même paiement, vous roulerez dans une auto neuve.” Sauf qu’ils repartent avec 72, 84 ou 96 mois de paiement. J’ai vu le cas d’une dame de 82 ans, à qui il ne restait que deux ans à payer. Elle est retournée chez elle avec une nouvelle voiture et 84 mois de paiement. À 82 ans ! »

George Iny, directeur de l’étude de l’Association pour la protection des automobiles

En fait, le financement est devenu un outil de vente puissant. « La pratique des paiements hebdomadaires a permis de séparer le versement du prix total. Ça n’a l’air de rien, 150 $ toutes les deux semaines, mais pendant 96 mois, ça revient à 31 200 $ ! »

Le financement, qui profite de taux très bas et qui s’étend désormais sur sept ou huit ans, permet d’ajouter des « extras » qui gonflent le prix final. Rien d’illégal à offrir un plan d’assurance, un système antivol ou une remise en argent financée à même le prêt. Sauf que le total peut devenir démesuré. « Seulement » 24 $ par quinzaine pour un traitement antirouille et de protection Élite sur la peinture, durant une période de 96 mois, ça revient à 4 992 $ !

L’enquête a permis de constater certaines spécificités provinciales. À Calgary, par exemple, les commerçants ont tendance à annoncer un véhicule qu’ils n’ont même pas en stock.

C’est de la publicité-appât, qui sert à leurrer le client pour l’attirer dans le commerce. Le consommateur qui se présente se fait dire que le véhicule est vendu, “mais nous avons justement un autre modèle”… Quelques jours plus tard, le même véhicule réapparaît dans la publicité. »

Au Québec, l’APA a observé la pratique des contrefaçons. Le concessionnaire maquille un modèle de base en modèle « sport », y ajoutant quelques centaines de dollars de bandelettes, de glaces teintées et d’enjoliveurs chromés. Le concessionnaire empoche donc un gros profit en vendant un faux modèle sport.

Plusieurs raisons expliquent pourquoi ces pratiques trompeuses sont si courantes dans l’automobile. Du côté du consommateur, l’automobile est associée à une série d’émotions qui altèrent le jugement. La naïveté et le manque de scolarisation font le reste. Les constructeurs, quant à eux, exigent que leurs concessionnaires se dotent de commerces qui en mettent plein la vue, véritables petits temples qui coûtent très cher, et ils imposent aux concessionnaires des marges trop faibles sur les modèles de base. Financièrement étranglés, les concessionnaires peu scrupuleux vont tout faire pour aller chercher de la marge.

Des lois non appliquées

Selon George Iny, il y a aussi le fait que l’État joue mal son rôle, la plupart des gens étant mal informés des lois censées les protéger. « Certaines pratiques de refinancement sont carrément illégales, dit-il. La loi est très claire : c’est interdit, mais les gens ne le savent pas. L’action de l’État est essentielle pour les informer et surtout faire respecter les lois. »  George Iny est choqué de la mollesse des pouvoirs publics. « Les commerçants ne trichent pas s’ils savent qu’ils vont se faire pincer. »

La plupart des provinces ont des lois et des agences officielles de protection des consommateurs, particulièrement dans l’automobile, et cinq d’entre elles requièrent un prix « tout inclus ». Le Québec est la seule province à avoir une loi de protection des consommateurs qui englobe à la fois le financement, la publicité et la vente au détail. Dans les autres provinces, la responsabilité est parfois éparpillée entre divers ministères.

Mais ce cadre légal parfois diffus n’interdit pas d’agir. En Ontario, l’autorité réglementaire (Ontario Motor Vehicle Industry Council – OMVIC) a fait plusieurs sorties contre le financement irrégulier, même si OMVIC n’a pas autorité sur le crédit (cela relève d’une autre agence). En Alberta, l’étude de l’APA a suscité un reportage de 20 minutes à l’émission d’affaires publiques W5 sur les ondes de CTV. Le reportage a forcé le gouvernement à réagir, mais la réforme envisagée est bloquée depuis l’élection des conservateurs albertains (dont la campagne avait reçu un soutien financier de 800 000 $ provenant de l’association des commerçants d’automobiles de l’Alberta).

Le Québec, quant à lui, dispose du meilleur cadre de protection légale au Canada, sauf que cette loi n’est pas appliquée. « L’Office de la protection du consommateur est devenu invisible, dit George Iny, qui avait reçu un prix de l’OPC pour son militantisme en 2010. Ses sorties médiatiques, son action de surveillance, les poursuites, tout est faible. »

George Iny y voit un important enjeu de justice sociale. « Le public aurait dû profiter des faibles taux d’intérêt et de la meilleure qualité des véhicules, mais on a laissé gaspiller cet avantage en n’appliquant pas les lois, et ce sont les consommateurs qui en font les frais. »

L’étude

L’enquête sur le financement dans la vente au détail des véhicules neufs est une étude de l’Association pour la protection des automobilistes réalisée en mars 2017 auprès des concessionnaires automobiles, avec le soutien financier du Bureau de la consommation. En s’appuyant sur des annonces publicitaires parues dans les journaux locaux, les enquêteurs de l’APA ont visité 20 concessionnaires à Calgary et 21 à Montréal pour comparer leurs pratiques de financement.

Dans presque 80 % des cas, le prix de vente ne correspondait pas au prix annoncé. Le financement, qui profite de termes allant jusqu’à 96 mois, permet de dissimuler le coût total derrière des versements hebdomadaires apparemment modestes. Les très bas taux d’intérêt permettent aux commerçants de proposer des « extras » qui gonflent parfois abusivement le coût total. L’APA a également constaté un certain nombre de pratiques nouvelles, comme la multiplication des ventes privées, qui peuvent avoir pour effet d’accabler le consommateur. L’association en appelle aux pouvoirs publics afin qu’ils appliquent les lois existantes avec plus de détermination.