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Télécom | Pratiques commerciales

Service de télécommunications: des recours en patchwork

Par : Maryse Guénette
Crédit photo : Susan Yin (Unsplash)

En cette période de pandémie, avoir accès à des services de télécommunications de qualité est plus nécessaire que jamais. Or, ces services coûtent cher et ceux qui n’arrivent pas à les payer font face à des mesures aussi inadéquates qu’incohérentes.

Selon le CRTC, les consommateurs canadiens paient en moyenne 222,83 $ par mois pour leurs services de télécommunications. Pour les personnes à faible revenu, cette somme est extrêmement élevée. Que se produit-il quand elles n’arrivent pas à la payer ? Une étude d’Union des consommateurs (UC) intitulée « Services de communication : les recours avant le débranchement sont-ils suffisants ? » s’est penchée sur le sujet.

Pour y parvenir, UC a notamment réalisé un sondage auprès de 2 000 personnes. Elle leur a présenté une liste des mécanismes destinées aux personnes susceptibles d’être en difficulté de paiement et leur a demandé si elles avaient déjà eu à s’y soumettre. Près de la moitié des répondants ont répondu par l’affirmative. « C’est énorme », dit Anaïs Beaulieu-Laporte, analyste aux politiques et réglementation en matière de télécommunications, radiodiffusion, Internet, vie privée à Union des consommateurs et coauteure de l’étude.

 

Un dépôt, s’il vous plaît

Quiconque a un piètre historique de crédit ou un dossier de crédit entaché risque de se faire demander un dépôt de garantie – 25 % des participants au sondage avaient fait l’objet d’une telle demande ; chez les 18 à 34 ans, la proportion était de 40 %. Selon nombre d’entre eux, cette somme est trop élevée. Cela ne surprend pas Mme Beaulieu-Laporte.

Pour la plupart des services, il n’y a pas de plafond, dit-elle. Alors, quand c’est trop cher, les gens ne s’abonnent pas. Ou bien, parce qu’ils ont tout mis sur le dépôt, ils n’arrivent plus à payer le service. »
Anaïs Beaulieu-Laporte, analyste aux politiques et réglementation en matière de télécommunications, radiodiffusion, Internet, vie privée à Union des consommateurs et coauteure de l’étude

Combien de temps ce dépôt est-il conservé ? Aussi longtemps que l’entreprise le juge nécessaire pour se protéger. Cependant, elle a l’obligation de vérifier si le dépôt lui semble toujours nécessaire à une fréquence différente selon le service. Par exemple, cette fréquence est de six mois pour la téléphonie résidentielle, et de 12 pour la téléphonie mobile. Étrangement, rien n’a été prévu pour la télévision…. « Quelqu’un pourrait donc se faire demander un dépôt de garantie pour son service de télévision sans savoir quand il pourra espérer ravoir son argent. »

UC a noté d’autres aberrations. Par exemple, une entreprise mentionnait dans son contrat que les personnes qui devaient fournir un dépôt de garantie pour un service ne pouvaient pas regrouper tous leurs services sur une même facture. Or, regrouper ces services aurait pu leur permettre d’obtenir des rabais ! Ailleurs, on mentionnait que le dépôt ne serait pas retourné au consommateur, mais plutôt utilisé pour le paiement des services. « C’est pourtant de l’argent qui lui appartient ! », souligne la chercheuse. Notons que 81 % des 111 plaintes déposées à la Commission des plaintes relatives aux services de télécom-télévision (CPRST) en 2017-2018 concernaient le non-remboursement d’un dépôt.

 

Traitement des factures impayées

À ceux qui ne parviennent pas à payer leur facture à temps, on demande des intérêts, et ils sont élevés – jusqu’à 42,58 % par année. Dans son étude, UC remarque que les fournisseurs qui ont les plus grandes parts de marché sont les plus gourmands.

Il y a une théorie selon laquelle le libre marché permet d’offrir des protections adéquates au consommateur, dit Mme Beaulieu-Laporte. Mais on voit bien que cela ne fonctionne pas quand il est question de consommateurs qui ont du mal à payer leur compte. »
Anaïs Beaulieu-Laporte

On pourrait s’attendre à ce que le fournisseur envoie un avis au mauvais payeur et lui donne un certain laps de temps pour changer la donne. Or, l’envoi d’un tel avis n’est pas obligatoire pour tous les services et, lorsqu’il est obligatoire, le délai accordé varie. « C’est difficile de s’y retrouver. »

Les mauvais payeurs risquent aussi de voir leur dossier de crédit entaché. Les entreprises de télécoms ont le droit de faire annoter le dossier de crédit de leurs clients, à condition que ceux-ci y aient préalablement consenti. Est-ce le cas ? « Au moment de signer son contrat, le consommateur autorise l’entreprise à vérifier son dossier de crédit, dit Mme Beaulieu-Laporte. Mais à la lecture des contrats, on ne sait pas si, en cas de non-paiement, une note pourrait être mise au dossier ni quand elle pourrait l’être. »

 

Les ententes de paiement

En cas de difficulté de paiement, il est possible de passer une entente. Mais d’après ce qu’a constaté UC, il y a là aussi des problèmes. Ainsi, 43 % des participants au sondage qui avaient conclu ou tenté de conclure une entente considéraient que ce qu’on leur avait proposé était irréaliste – les versements étaient trop élevés ou échelonnés sur une trop courte période.

Selon Mme Beaulieu-Laporte, qui a par ailleurs étudié les pratiques d’Hydro-Québec et d’Hydro One (en Ontario), les fournisseurs de services de télécoms auraient intérêt à s’inspirer de ce qui se fait dans le domaine de l’énergie, où les ententes tiennent compte de la capacité de payer des consommateurs et où des règles particulières sont prévues pour les personnes à faible revenu. « Les règles y sont très détaillées et les critères sont dévoilés publiquement, dit-elle. On sait donc à quoi s’en tenir. »

 

La suspension ou le débranchement de services

Quels sont les consommateurs qui risquent de se retrouver devant des services suspendus ou abolis ? Encore ici, la variété est au menu. En ce qui a trait à la téléphonie (résidentielle ou sans fil) et à Internet, c’est le cas de quiconque accumule une dette de 50 $ en deux mois. Par contre, pour la télévision, ni somme minimale ni délai ne sont prévus.

Si la disparité de certaines règles pose parfois problème, la similarité d’autres règles fait de même. « Pour le service de téléphonie résidentielle, 50 $, ça couvre environ 2 mois de service, dit Mme Beaulieu-Laporte. Mais pour internet ou la téléphonie sans fil, ça couvre beaucoup moins de temps. » Notons que 40 % des participants au sondage qui avaient vu leurs services suspendus ou débranchés affirment que leur retard de paiement était « insignifiant ».

Autre problème : lorsque plusieurs services sont regroupés sur une même facture, comment savoir lequel est en défaut de paiement et quelle règle s’applique ? Pour simplifier les choses, Mme Beaulieu-Laporte suggère que les fournisseurs suivent toujours la règle la plus favorable aux consommateurs.

Pourquoi tant d’incohérences ? Les services de téléphonie sont gérés par différents codes du CRTC. Chacun s’applique à un service particulier et a été adopté à un certain moment, il y a plus ou moins longtemps. À cela s’ajoutent certaines lois provinciales dont les dispositions divergent.

Mme Beaulieu-Laporte croit que le CRTC devrait émettre des règles plus cohérentes et plus complètes, et le faire rapidement. « Ma plus grande surprise a été de constater que les règles en vigueur aujourd’hui ressemblent beaucoup aux règles initiales du CRTC dans les années 80. Pourtant, les télécommunications ont beaucoup plus d’importance aujourd’hui qu’à cette époque. »

L’étude

L’étude « Services de communication : les recours avant le débranchement sont-ils suffisants ? » a été réalisée par Union des consommateurs en 2019. Elle vise à documenter ce qui se produit lorsqu’un consommateur a du mal à payer sa facture de télécommunications et à vérifier si les mécanismes en place lui procurent des protections, des droits et des recours adéquats. L’étude s’attarde principalement aux dépôts de garantie, aux ententes de paiement, aux suspensions et débranchements de services ainsi qu’aux annotations pouvant éventuellement entacher le dossier de crédit du consommateur.

Pour parvenir à leurs fins, les auteurs ont dressé un historique des mesures de protection des consommateurs canadiens en difficulté de paiement et parcouru les codes de conduite et lois applicables dans de tels cas. Ils se sont penchés sur les plaintes rapportées à la Commission des plaintes relatives aux services de télécom-télévision (CPRST) et ont étudié les politiques des principales entreprises de télécommunications canadiennes. Ils ont effectué un sondage auprès 2 000 Canadiens formant un échantillon représentatif de la population. Ils ont étudié les mesures mises en place dans le domaine de l’énergie au Québec et en Ontario ainsi que dans le domaine des télécommunications aux États-Unis, en Australie, en France et en Belgique. Tout ce travail leur a permis de déceler plusieurs lacunes et incohérences, puis de faire des recommandations à l’intention du CRTC.