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Télécom

Internet haute vitesse : trop cher pour plusieurs

Par : Maryse Guénette
Photo: Christin Hume (Unsplash)

On pourrait croire que tous les citoyens des grandes villes ont facilement accès à internet haute vitesse. Eh bien non. Coup d’œil sur la situation dans tout le pays.

Peut-on s’imaginer en pleine pandémie sans accès à Internet ? C’est pourtant le lot de nombreux Canadiens qui, bien qu’ils vivent dans une grande ville, n’ont pas les moyens de s’offrir ce service. « Le prix est un problème pour plusieurs de nos membres, dit Judy Duncan, responsable principale d’ACORN Canada, une association spécialisée dans l’action directe qui compte plus de 130 000 membres.

Lors de la réalisation d’une recherche intitulée Barriers to Digital Equity in Canada (en anglais seulement), l’Institut ACORN du Canada qui, lui, fait de la recherche et donne de la formation, a sondé près de 500 membres de l’association. Résultats : 20 % des répondants ayant un revenu de 30 000 $ ou moins n’avaient pas internet à la maison, alors que seulement 4 % de ceux ayant un revenu supérieur à 60 000 $ étaient dans la même situation.

Plus parlant encore : 72 % des répondants ont affirmé que, s’ils n’avaient pas internet à la maison, c’était à cause de son coût trop élevé. « C’est énorme, dit Mme Duncan. Et certains ont affirmé devoir se priver de certains biens, voire de nourriture, pour y avoir accès. » Ces résultats ont déçu Théodros Wolde, président de la section d’ACORN Canada de l’arrondissement LaSalle, à Montréal. « Ça fait 10 ans que l’association fait campagne pour que les personnes à faible revenu aient accès à internet », dit-il.

Les participants ont affirmé utiliser internet surtout pour être en contact avec leur famille et amis (parfois via les médias sociaux), se divertir et se tenir informés. Une autre étude  de l’Institut ACORN réalisée précédemment en Colombie-Britannique indique qu’internet est aussi particulièrement utile pour obtenir de l’information en matière de santé. « Cela montre à quel point internet est un service essentiel, dit Mme Duncan. Et il l’est encore plus depuis le début de la pandémie. »

 

Internet : plus important que jamais

Si la situation était peu reluisante avant la pandémie, elle s’est détériorée depuis.

« La fermeture des bibliothèques et l’école à distance ont obligé de nombreux ménages à se procurer internet à la maison, même s’ils n’en avaient pas les moyens, dit Mme Duncan. Maintenant, ils n’ont pas le choix. Tout a été mis en ligne. Il leur faut internet pour remplir les formulaires gouvernementaux, prendre rendez-vous avec leur médecin ou faire des études. »

« Une bonne proportion des participants à notre étude avaient accès à internet à partir d’un téléphone cellulaire. Mais pour travailler de la maison ou y faire des travaux scolaires, il faut un ordinateur. Parfois, il en faut aussi plus d’un, car il n’est pas facile de se partager un seul appareil entre les membres d’une même famille. »

Judy Duncan, responsable principale d’ACORN Canada

Ceux qui n’ont pas les moyens d’avoir internet à la maison n’en ont pas davantage pour se procurer un ordinateur. Durant la pandémie, c’est devenu un problème. « Une bonne proportion des participants à notre étude avaient accès à internet à partir d’un téléphone cellulaire, dit Mme Duncan. Mais pour travailler de la maison ou y faire des travaux scolaires, il faut un ordinateur. Parfois, il en faut aussi plus d’un, car il n’est pas facile de se partager un seul appareil entre les membres d’une même famille. »

L’étude révèle aussi différents problèmes en lien avec la vitesse des connexions internet. Presque deux participants sur trois s’en sont plaints. Résultat : ils utilisent internet au-delà de ce que leur forfait leur permet et se retrouvent avec des dépassements de coût. « Actuellement, avec le travail et l’école à la maison, les gens ont plus que jamais besoin d’une connexion haute vitesse », dit Mme Duncan.

 

Un programme qui comporte des lacunes

On aurait pu penser que le programme « Familles branchées » du gouvernement fédéral, qui permet aux personnes à faible revenu de se procurer internet pour 10 $ par mois, contribuerait à améliorer la situation. Mais selon M. Wolde, il ne donne pas les résultats escomptés, le service qu’offrent les entreprises participantes étant généralement trop lent. « Selon le CRTC, tous les ménages devraient avoir accès à une connexion internet à large bande d’au moins 50 Mbits/s en téléchargement et d’au moins 10 Mbits/s en téléversement, dit M. Wolde. Mais pour 10 $, on ne leur donne pas cette vitesse. Alors, ils doivent débourser davantage pour avoir une vitesse convenable. »

Selon Mme Duncan, le programme « Famille branchées » comporte aussi d’autres lacunes. « Les entreprises décident elles-mêmes de ce qu’elles offrent et mettent en place leurs propres critères d’accès, dit-elle. Il en résulte d’énormes disparités. » Sans compter qu’il arrive aussi que ce programme ne soit pas ouvert aux personnes seules et aux aînés, une population qui en aurait bien besoin. M. Wolde déplore aussi que, via ce programme, les citoyens n’ont accès qu’aux services des grandes entreprises, qui sont généralement les plus chers.

Le rapport se termine sur des recommandations. On y suggère d’étendre le programme « Familles branchées » afin qu’il puisse répondre aux besoins de toutes les familles à faible revenu, et de faire en sorte que les fournisseurs de télécommunications internet offrent un service haute vitesse à tous les Canadiens à faible et modeste revenu. « Le monde va continuer à être dépendant des technologies, dit Mme Duncan. Et si les choses ne s’améliorent pas, nous continuerons à nous battre pour que les personnes à faible et modeste revenu aient un accès adéquat à internet. »

 

Une situation préoccupante à Toronto

Une étude  récente réalisée à Toronto en pleine pandémie donne des résultats similaires à cette d’ACORN.  On y apprend que, parmi les ménages torontois qui ne sont pas branchés à internet, la moitié ont fait ce choix à cause du coût et que 61 % considèrent que cela a un impact sur leur accès à des services essentiels et à l’information. On y apprend aussi que 38 % des ménages torontois n’ont pas accès à une connexion suffisante selon les critères du CRTC, et qu’environ la moitié des ménages à faible revenu et des personnes de 60 ans et plus sont dans cette situation.

 

L’étude

L’étude intitulée Barriers to Digital Equity in Canada (Institut ACORN du CANADA, 2019) vise à identifier les principaux obstacles à l’équité numérique afin de donner plus de voix aux Canadiens à faible revenu dans le débat sur l’internet abordable. Les membres de l’association ACORN Canada y ont participé en réalisant un sondage et en le faisant remplir – par téléphone ou par internet – par 472 de leurs pairs (majoritairement des personnes à faible revenu) vivant dans 21 villes canadiennes situées dans 5 provinces. Des discussions ont ensuite eu lieu entre les présidents des différentes sections de l’association. Notons que l’Institut ACORN du Canada est un organisme de bienfaisance qui utilise la recherche et la formation pour résoudre les problèmes des communautés à faible revenu, alors qu’ACORN Canada est une association qui met l’accent sur l’action directe et qui agit localement, organisant régulièrement des campagnes visant à défendre les intérêts des personnes à faible revenu et des aînés à revenu fixe. Les membres d’ACORN Canada sont tous bénévoles ; pour la réalisation de leurs campagnes, ils reçoivent de l’aide et de l’encadrement des employés de l’association.