Fermer×
Télécom

Accès à internet en région: pas sans un financement adéquat

Par : Maryse Guénette
Photo: Pascal Bernardon (Unsplash)

Au Canada, l’accès internet n’est pas le même pour tous. Or, plusieurs organismes de la société civile pourraient aider à améliorer les choses. Malheureusement, ils ont du mal à obtenir du financement. Portrait de la situation.

Si la plupart des citoyens des grandes villes canadiennes ont accès à l’internet illimité, la situation est bien différente dans les communautés rurales où, selon les données du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), seulement 45,6 % des ménages étaient dans la même situation en 2019.

L’Autorité canadienne pour les enregistrements Internet (ACEI), sur le site duquel se trouve un test permettant à chacun d’évaluer la performance de sa connexion internet, est bien placée pour le savoir : depuis sa mise en ligne, en 2015, son test a été utilisé près d’un million de fois ! « Les résultats démontrent que les gens des communautés rurales reçoivent un signal internet environ 10 fois plus lent que ceux des zones urbaines », dit Josh Tabish, directeur des affaires publiques à l’ACEI. Et sur un territoire donné, plus la population est éparpillée, plus l’accès est mauvais. »

L’accès à internet est difficile également pour les personnes à faible revenu vivant dans les grandes villes. Dans ce cas, la situation est liée au coût de l’internet. « Les études montrent presque toujours que c’est au Canada que l’Internet sans fil est le plus cher au monde, dit M. Tabish. » À cela s’ajoutent les difficultés rencontrées par les personnes ayant une faible littératie numérique, qui se trouvent surtout dans certaines communautés et chez certains groupes de citoyens.

La pandémie de Covid-19 a permis de jeter un éclairage nouveau sur ces inégalités. En guise d’exemples, M. Tabish raconte qu’à Ottawa, une commission scolaire a suggéré aux élèves qui n’avaient pas internet haute vitesse à la maison de se rendre dans le stationnement d’un Tim Horton pour y faire leurs devoirs, alors que dans la campagne albertaine, des écoles ont demandé à des étudiants de se déplacer vers des bacs clairement identifiés pour y déposer leur devoir et y récolter les consignes pour le devoir suivant. « Bien que ces situations se soient passées dans le domaine de l’éducation, dit-il, elles donnent une idée des inégalités des services internet dans le pays. »

 

Des idées, mais peu de financement

L’étude de l’ACEI fait état de nombreuses idées pour améliorer les choses. Ainsi, des organisations ont suggéré d’offrir un forfait de base peu cher pour les personnes à faible revenu. D’autres ont proposé d’augmenter le nombre de fournisseurs afin qu’il y ait davantage de concurrence. Quelle que soit la voie choisie, pour que les choses s’améliorent, il faudra l’effort de tous les ordres de gouvernement ainsi que de nombreuses organisations. Et il faudra aussi que l’argent soit au rendez-vous.

Via le Programme d’investissement communautaire, l’ACEI offre chaque année plus d’un million de dollars à des groupes qui travaillent à améliorer l’accès à internet partout au Canada (notons que la date limite de demande est le 14 avril prochain). Il s’agirait d’un des seuls programmes de ce genre au pays.

Afin que, lors du processus d’élaboration des politiques publiques, il puisse y avoir une certaine adéquation entre les vues de l’industrie et l’intérêt public, il faudrait que les groupes communautaires aient accès à davantage de fonds. Actuellement, c’est très difficile pour eux. »

Josh Tabish, directeur des affaires publiques à l’ACEI

 

Difficile notamment parce que l’enjeu de l’accès à internet n’est pas reconnu par la communauté philanthropique. « Les personnes qui se vouent à améliorer Internet ne jouissent pas de la même reconnaissance que celles qui travaillent pour l’environnement, l’itinérance ou la santé mentale », dit M. Tabish. Elles n’ont donc pas le même soutien.

L’étude de l’ACEI démontre que les rares sources de financement sont souvent mal adaptées à la réalité des groupes communautaires. Cela s’explique notamment par le fait que l’on finance des projets particuliers plutôt que la mission de base des organisations, alors que le financement de base serait plus utile. Notons qu’aux États-Unis, le gouvernement a l’obligation d’offrir aux groupes de la société civile un financement en lien avec des projets ainsi qu’un financement de base.

Il y a aussi que les organismes à but non lucratif et les universités ont les mêmes sources de financement, ce qui les oblige à se faire concurrence. « Cette situation désavantage les groupes communautaires, qui ont beaucoup moins de ressources que les universités », dit M. Tabish.

À cela s’ajoute la complexité de certaines demandes de fonds, qui exigent des organismes une somme de travail considérable. Il y a aussi la complexité des processus de représentation. Dans le rapport, on mentionne l’ouverture du CRTC à l’égard des groupes de la société civile. Mais ici, on fait état de procédures compliquées qui « semblent avoir été créées par un avocat pour un avocat », selon les mots de M. Tabish – et des délais énormes pour le remboursement des frais engagés. « Cela a un effet pervers, dit le spécialiste. Les groupes qui devraient participer ne le font pas parce que c’est trop difficile pour eux. »

L’ACEI travaille sans relâche pour que les choses s’améliorent. « Nous voulons aider à développer une tradition de financement du numérique au Canada, car on en a cruellement besoin, dit M. Tabish. Nous avons d’ailleurs réalisé notre rapport afin de démarrer le dialogue. » Il ne reste qu’à espérer que celui-ci aura lieu, et qu’il sera fructueux.

L’étude

Dans l’étude intitulée Unconnected : Funding Shortfalls, Policy Imbalances and How They Are Contributing to Canada’s Digital Underdevelopment (en anglais seulement), l’Autorité canadienne pour les enregistrements internet (ACEI) met à jour les difficultés que rencontrent les organisations à but non lucratif qui pourraient aider à améliorer l’accessibilité à Internet au Canada. La majorité des données présentées dans cette étude ont été collectées par la firme The Strategic Counsel d’avril à juin 2020. Cela a été fait par le biais de 50 entrevues téléphoniques et d’un sondage en ligne menés auprès d’organisations provenant de différents milieux (communautaire, gouvernemental et universitaire) travaillant, d’une manière ou d’une autre, à favoriser l’accès à Internet, ainsi qu’auprès de communautés autochtones. En août 2020, l’ACEI a à son tour réalisé des entrevues afin de déterminer l’étendue du problème. L’étude permet de dresser un portrait du développement numérique au Canada et de proposer quelques solutions.