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Pratiques commerciales | Rubriques

Tarification dynamique: prix dans l’étau

Par : Julie Barlow

Depuis plus de 150 ans, les détaillants pratiquent une tarification dynamique, qui varie selon l’heure, la date, ou la quantité des stocks. Pris au piège des algorithmes et des prix manipulés, les consommateurs ont de moins en moins l’occasion de trouver de vraies aubaines. 

Si vous voyagez en famille à Disney World pendant la relâche scolaire, les billets du parc d’attractions célébrissime seront sans doute 20 % plus chers qu’en basse saison. Même logique pour les billets d’avion : aller à Paris en juillet coûte plus cher qu’en janvier.

La plupart des consommateurs sont habitués à ce genre de formule de rajustement des prix appelée « tarification dynamique ». Selon la loi de l’offre et de la demande, les sommes demandées peuvent varier selon la saison, l’heure ou l’achalandage. Mais depuis l’avènement d’Internet, les entreprises disposent de puissants outils informatiques qui permettent de personnaliser les prix. Une chaîne de magasins de fournitures de bureau, a-t-on découvert récemment, offrait des prix réduits à ses clients vivant à moins de 20 minutes du plus proche concurrent. Les sites web de voyages sont reconnus pour augmenter les prix selon votre historique de navigation : chaque vérification de prix leur indique quelle destination vous regardez et votre niveau d’intérêt.

La tarification dynamique est devenue tellement sophistiquée qu’il est quasi impossible pour le consommateur d’en profiter. C’est la principale conclusion d’un rapport réalisé par le Conseil des consommateurs du Canada (CCC) en 2017 : Tarification dynamique – Les consommateurs peuvent-ils en retirer tous les avantages attendus ? Celui-ci montre le tort fait aux consommateurs et recommande des mesures de protection.

Les nouvelles pratiques que nous avons observées nous sont apparues opportunistes et odieuses. »

Howard Deane, comptable professionnel agréé, ancien directeur des connaissances pour le Canada chez KPMG et auteur de l’étude

Des rapports de force inégaux

Dans le volet « sondage » de cette étude, les 600 répondants canadiens ont affirmé faire confiance aux méthodes traditionnelles de tarification dynamique – les rabais aux aînés, les escomptes au volume, les programmes de fidélité, les politiques de meilleur prix. Mais les répondants se méfiaient de la gestion de l’offre et de la demande sur la base de nouvelles technologies – telles que les changements fréquents de prix chez Amazon, ou la pratique des prix forts (aussi appelés prix Premium, qui consiste à maintenir un prix artificiellement haut pour faire croire que le bien ou le service a une plus grande valeur) –, même s’ils comprennent de quoi il s’agit. Cependant, les répondants n’avaient qu’une idée vague quant aux nouvelles techniques de tarification dynamique qui permettent de proposer des prix « sur mesure » – basés sur des recoupements entre les données démographiques et les informations personnelles ou comportementales, telles que l’historique de navigation.

Le plus gros problème, constate le CCC, c’est que les consommateurs n’ont aucune chance de tirer un bénéfice de la tarification dynamique dans l’environnement numérique, particulièrement dans ses formes les plus sophistiquées.

La publicité basée sur le prix n’est pas une nouveauté. Avant la révolution industrielle, la notion de prix affiché n’existait pas : les consommateurs négociaient pour tout. C’est seulement en 1861 qu’un commerçant de Philadelphie, John Wanamaker, a mis les premières étiquettes de prix sur ses produits. Il n’a pas tardé à réaliser qu’il devrait faire varier ses prix en fonction de l’offre et de la demande, en ciblant parfois des clientèles particulières. Ce sont les canons de la tarification dynamique traditionnelle.

Mais la révolution numérique a complètement modifié la donne en permettant aux détaillants d’utiliser les mégadonnées afin de produire des prix sur mesure pour chaque individu. L’étude du CCC a montré que les consommateurs ignorent ces pratiques ou ne les comprennent pas.

Une agence de voyages comme Orbitz envoie les utilisateurs d’appareils Macintosh sur des sites différents de ceux qui utilisent des PC. Leur idée est que ceux qui paient plus cher pour avoir un produit Macintosh accepteront de payer davantage pour leur voyage. Et Orbitz est loin d’être la seule entreprise à faire ce genre de manipulation. »

Howard Deane

Les nouvelles technologies numériques ont rompu le vieil équilibre. Selon le rapport, la tarification dynamique est désormais biaisée en faveur des entreprises. Il devient difficile pour le consommateur de magasiner les aubaines, puisque les prix sont constamment manipulés selon son profil individuel. Toujours selon le rapport, des prix sur mesure basés sur les seules données démographiques augmentent les profits d’une entreprise de 0,8 %, Mais des politiques de prix basées sur les données de navigation web augmentent les profits de 12 %. C’est cette pratique qui transforme le marché, selon Howard Deane. « C’est pour ça que les entreprises vous offrent des cartes de fidélité, insistent pour avoir votre courriel ou vous demandent de donner vos commentaires en ligne. Tout ce qu’elles veulent, c’est acquérir plus de données. »

Plusieurs répondants affirment se sentir vulnérables lorsqu’ils magasinent en ligne, car ils ignorent combien de temps le même prix sera affiché. Selon un spécialiste interrogé, « les gens ont besoin d’aide et de protection. Le système est de plus en plus inégalitaire. »

L’étude constate que l’effet d’entraînement de la tarification dynamique basée sur le numérique est très grand. « Ce type de tarification dynamique est tellement rentable que les entreprises qui n’en profitent pas prennent un vrai risque vis-à-vis de la concurrence », dit Howard Deane. Il explique que les consultants en gestion et en technologie de l’information font tous pression pour encourager les entreprises à adopter des méthodes de tarification dynamique de plus en plus complexes et perfectionnées.

Le pouvoir des algorithmes

Les choses n’iront pas en s’améliorant. Howard Deane est convaincu qu’une tarification dynamique trop sophistiquée bloquera complètement l’accès à de bons prix. « Les algorithmes qui servent à établir les prix sont devenus très puissants, complexes et adaptables. C’est ce dernier aspect que je redoute le plus, dit-il, et les consommateurs seront sans défense. On pourrait en arriver au stade où personne ne saura quel algorithme aura produit le prix sur mesure. Actuellement, tout cela se passe dans un vide légal absolu. »

Les consommateurs sont d’ailleurs sans recours face à la tarification dynamique sophistiquée. « L’ampleur des efforts de réglementation est faible, et ces efforts ne répondent pas directement à certaines préoccupations que les consommateurs peuvent avoir », lit-on dans le rapport.

La seule manière de protéger les consommateurs serait, selon Howard Deane, d’imposer aux entreprises la transparence. « Elles doivent déclarer les informations qu’elles utilisent pour déterminer le prix. » Autrement dit, leur politique sur la vie privée devrait être affichée avec leur politique de marketing, le tout dans une langue claire et facile à comprendre. Mais ça ne changera pas tant que les consommateurs ne réagiront pas pour l’exiger. »

L’étude Tarification dynamique conclut néanmoins que les consommateurs peuvent faire une série de gestes afin de continuer à protéger leur vie privée et, aussi, à trouver des aubaines. D’abord en protégeant leurs informations personnelles. « Vous n’êtes pas obligé de donner votre courriel chaque fois qu’on vous le demande », dit Howard Deane, qui croit qu’une autre très bonne méthode est de continuer d’exiger les vieux canons de la tarification traditionnelle, quitte à retourner en magasin. « Amazon n’est pas nécessairement le moins cher. Les escomptes au volume, les rabais pour les personnes âgées et les soldes peuvent vous permettre de réaliser des économies renversantes. »

Et si vous avez besoin d’acheter en ligne, conseille-t-il, prenez le temps de faire vos recherches et d’avoir une bonne idée des prix qui circulent. Si les prix affichés ne veulent plus rien dire, peut-être que la révolution numérique ramènera les consommateurs au temps d’avant la révolution industrielle, quand ils devaient tout négocier.

L’étude

Produit par le Conseil des consommateurs du Canada en 2017, le rapport Tarification dynamique – Les consommateurs peuvent-ils en retirer tous les avantages attendus ? s’intéresse au niveau de connaissance et de sensibilité des consommateurs quant aux risques associés à la tarification dynamique. L’étude, réalisée avec le soutien financier du Bureau de la consommation, visait à savoir à quel point le manque d’information, des pratiques trompeuses et un mauvais usage de la tarification dynamique nuisent aux consommateurs. Il s’agissait également d’évaluer ce qui peut être fait pour contrer le phénomène et, plus particulièrement, ce que les gouvernements et les entreprises devraient faire pour s’assurer que les droits des consommateurs sont protégés.

À l’issue de groupes de discussion, d’un sondage en ligne et d’entrevues avec des spécialistes réputés, le rapport note que les consommateurs n’ont pas une idée claire de la manière dont les entreprises manipulent les prix en recoupant leurs informations personnelles ou comportementales et les données démographiques. La tarification dynamique basée sur les technologies numériques biaise le marché presque complètement en faveur des entreprises.