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Pratiques commerciales

Produits contrefaits et piratés : des dégâts trop souvent ignorés

Par : Maryse Guénette
Photo: Marika Sartori (UnSplash)

Ça vous arrive d’acheter un article contrefait ou de vous procurer un logiciel piraté? Ces gestes ne sont pas anodins…

Les produits contrefaits ou piratés sont fort populaires. Selon un rapport de l’OCDE et de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle datant de 2019, ils représentaient alors 3,3 % du commerce mondial. On y trouve de tout : vêtements, chaussures, produits électriques, cosmétiques, jouets, bijoux et médicaments du côté des produits contrefaits, films, pièces musicales et logiciels du côté des produits piratés. Avant l’arrivée de la pandémie, leur popularité était en hausse. On prévoyait alors que, d’ici 2020, la valeur des premiers pourrait dépasser 991 milliards de dollars et celle des seconds, 384 milliards de dollars.

Une étude intitulée Les attitudes des consommateurs et leur rôle dans l’atténuation des impacts associés aux produits contrefaits ou piratés ou aux services pirates réalisée par le Conseil des consommateurs du Canada lève le voile sur cette industrie et sur les connaissances des consommateurs à son égard. On y apprend que les adeptes des produits contrefaits sont surtout des jeunes, qui apprécient leur gratuité ou leur prix très bas. En fait, 28 % des répondants au sondage pancanadien réalisé dans le cadre de cette étude avaient volontairement fait l’acquisition de biens contrefaits ou connaissaient quelqu’un qui avait fait un tel achat, alors que 18 % s’étaient procuré de tels biens à leur insu. Ils s’étaient rendu compte du subterfuge à cause de la piètre qualité des biens reçus, de leur emballage inadéquat ou de l’absence de garantie.

Les ventes en ligne causent particulièrement problème, car puisque le consommateur ne peut pas examiner le bien, son emballage et son étiquetage, il n’est pas en mesure d’évaluer sa qualité avant d’acheter. »

Jay Jackson, directeur de politiques et de stratégies au Conseil des consommateurs du Canada et coauteur de l’étude

Chez les participants au sondage, la popularité des produits piratés est encore plus grande – 50 % d’entre eux avaient déjà téléchargé de tels contenus ou connaissaient quelqu’un qui l’avait fait. Cette fois, tous avaient agi en connaissance de cause. Ce sont les adultes de 18 à 49 ans ayant une scolarité ainsi qu’un revenu relativement élevés qui en étaient les plus friands. Mais ici aussi, la déception était au rendez-vous. La grande majorité des participants ont qualifié le matériel téléchargé de médiocre, alors que 26 % ont déploré que leur ordinateur ait été contaminé par un virus informatique et que 7 % ont été victimes de vol d’identité.

Certains sont préoccupés par la situation, mais pas tous. Quel que soit l’âge des participants à l’étude, certains banalisaient le phénomène en associant la contrefaçon à des produits de luxe ou en affirmant que les entreprises demandaient trop cher pour les produits d’origine qui, de toute manière, pouvaient aussi présenter des problèmes. « La plupart des consommateurs voient les économies qu’ils font, mais pas l’impact que peuvent avoir leurs décisions », dit M. Jackson. Cela dit, ils ne sont pas prêts à acheter n’importe quel produit. « Ils sont nombreux à affirmer qu’ils n’achèteraient pas de produits pharmaceutiques contrefaits. »

Pourtant, quel que soit le produit qu’ils se procurent, leur geste est lourd de conséquences. Des entreprises légitimes perdent des sommes considérables. Des travailleurs sont mis à pied. Et, puisque certains distributeurs de produits contrefaits sont associés au crime organisé et aux groupes terroristes, ce sont ces milieux qui en tirent profit. Sans compter que, selon ce qui est noté dans le rapport, les sommes générées par ce commerce peuvent être utilisées pour soutenir d’autres activités criminelles comme le trafic de stupéfiants et la traite de personnes.

L’impact négatif qu’a la contrefaçon sur la société et l’économie est énorme. Et la plupart des gens ne le soupçonnent même pas. »

Jay Jackson

Autre problème : les produits contrefaits comportent des risques pour les consommateurs. Dans le rapport, il est question de téléphones intelligents et de piles de stylos de vapotage qui explosent, de câbles de chargeurs et de piles de téléphones intelligents qui provoquent des blessures et des incendies, ainsi que de produits cosmétiques qui causent des irritations et des éruptions cutanées. On y parle aussi de jouets composés de pièces pouvant blesser, voire étouffer les jeunes enfants, et de médicaments privés de leur ingrédient actif ou, pire, contenant des produits nocifs. Des citoyens en sont morts. « On trouve de tout dans les produits contrefaits, dit Jay Jackson. Il peut donc être extrêmement risqué de les utiliser. »

Les produits piratés présentent aussi leur lot de difficultés, en plus d’augmenter le risque de se faire voler son identité. Un tel vol a beau avoir un côté abstrait, il peut entraîner d’important impacts dans la vie des consommateurs. « Les personnes qui ont perdu leur identité peuvent avoir du mal à se trouver un logement, à obtenir un prêt ou à contracter une assurance, dit M. Jackson. Rétablir leur identité est une véritable course à obstacles. »

Pour le consommateur, même avec la meilleure volonté du monde, il est difficile de s’y retrouver. Car les produits contrefaits sont parfois dotés d’un logo de certification alors qu’ils ne sont pas certifiés. C’est que les contrefacteurs apposent ces logos sans avoir l’autorisation des organismes de certification et, bien sûr, sans que les normes de fabrication prévues aient été respectées.

Comment faire changer les choses ? Selon les participants à l’étude, c’est au gouvernement d’agir. Or, il est peu présent, et lorsqu’il l’est, le message ne passe pas. Dans le rapport, on déplore qu’il y ait un problème de coordination entre les messages de l’entreprise et ceux du gouvernement. On indique également que l’un et l’autre mettent l’accent sur la violation du droit de propriété intellectuelle, un concept trop abstrait pour susciter l’intérêt des consommateurs.

Actuellement, les mouvements les plus forts pour arrêter la distribution de produits contrefaits au Canada proviennent du secteur de l’industrie des biens de consommation. Mais son objectif premier est de protéger ses marques, pas les consommateurs. »

Jay Jackson

Les auteurs du rapport proposent la mise en place d’un organisme unique dont le mandat serait de lutter contre la contrefaçon et le piratage. Cet organisme pourrait coordonner le repérage, analyser les tendances et sensibiliser les consommateurs. « De nombreuses agences gouvernementales canadiennes, et pas seulement la police, pourraient faire beaucoup plus pour lutter contre les contrefaçons. Pensons aux services de santé, aux ministères et agences de protection des consommateurs, aux autorités de la concurrence, aux agences de travaux publics, aux autorités en matière de protection des frontières, etc. Ils ne semblent pas avoir coordonné leurs efforts pour lutter contre ce problème. Imaginez ce qui pourrait arriver s’ils le faisaient ! »

Dans l’étude, on suggère que les associations de consommateurs deviennent d’importants partenaires dans cette bataille. On dit même qu’elles pourraient jouer un rôle clé. « Elles sont bien placées pour agir, dit Jay Jackson. Elles connaissent bien les besoins des consommateurs. Elles sont familières avec les lois provinciales et fédérales qui les protègent. Elles ont l’habitude de travailler avec les gouvernements et parfois aussi avec le secteur privé pour aider à prévenir des dommages aux consommateurs. » Pour que ce rêve devienne réalité, il faudra de l’argent. Dans le rapport, on propose qu’un financement durable leur soit alloué dans ce but. Ce n’est qu’à cette condition qu’elles pourraient embarquer dans l’aventure.

L’étude

L’étude intitulée Les attitudes des consommateurs et leur rôle dans l’atténuation des impacts associés aux produits contrefaits ou piratés ou aux services pirates (Conseil des consommateurs du Canada, 2019) expose les conséquences de la contrefaçon et du piratage sur la société et sur les consommateurs. De plus, elle s’intéresse aux attitudes des consommateurs à l’égard de ces phénomènes et propose des stratégies susceptibles de les contrer efficacement.

Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont été soutenus par un comité consultatif composé d’experts. Ils ont effectué une recherche documentaire, mené un sondage national Web auprès de 2 000 Canadiens – pour évaluer leur expérience et leurs connaissances des produits contrefaits et des services pirates –, ainsi que six groupes de discussion – pour connaître les expériences vécues par les consommateurs ainsi que leurs sentiments à l’égard du sujet traité. Ils se sont également entretenus avec divers spécialistes ainsi qu’avec des associations de consommateurs.