Fermer×
Alimentation et santé | Rubriques

Covid-19 – Mon épicerie, mon service essentiel

Par : Maryse Guénette

Depuis que la Covid-19 a fait son apparition, les habitudes des consommateurs canadiens ont bien changé, particulièrement dans le domaine de l’alimentation. Coup d’œil sur ces modifications, sur la réponse des commerçants et sur les conséquences que tout ça aura pour les consommateurs.

À la mi-mars, lorsque les consommateurs ont appris que la Covid-19 était parmi eux et qu’ils devraient demeurer confinés durant un bon moment, leur première réaction a été de se ruer vers les épiceries, provoquant une pénurie de pâtes alimentaires, de conserves de poisson et de papier de toilette. Puis ils sont rentrés chez eux et se sont organisés pour en sortir le moins souvent possible.

« Selon les chiffres d’Angus Reid, le 3 mars, 18 % des Canadiens évitaient ou tentaient d’éviter d’aller dans un supermarché, dit Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politique agroalimentaire à l’Université Dalhousie et directeur du Laboratoire en science analytique agroalimentaire. Deux semaines plus tard, c’était le cas de 52 % d’entre eux. » À la fin avril, « seulement 17 % des consommateurs n’avaient pas de crainte à cet égard ».

Cette tentative d’évitement a eu un impact sur la quantité de produits achetés. À cet égard, les chiffres sont éloquents : déjà, le 4 avril 2020, les chaînes considérées par la firme Nielsen, soit notamment les supermarchés, Walmart et Costco, avaient effectué pour 195 millions de dollars de ventes de plus que durant toute l’année 2019, et l’augmentation se faisait sentir pour tous les produits alimentaires.

C’est incroyable ce qui s’est passé dans le domaine de l’alimentation. C’est comme si on y gérait Noël depuis des semaines. »
Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politique agroalimentaire à l’Université Dalhousie et directeur du Laboratoire en science analytique agroalimentaire

De nouveaux comportements

Si les consommateurs achètent davantage, 69 % d’entre eux disent faire leurs achats à un seul endroit, soit là où ils trouvent tout ce dont ils ont besoin – il s’agit la plupart du temps d’un magasin traditionnel plutôt que d’un « escompteur » (comme Maxi, Super C et Walmart, où l’offre est moins variée, mais les prix généralement plus bas).

Désormais, les consommateurs sont bien organisés et planifient avec soin leurs repas. « Les achats spontanés ont presque disparu », dit M. Charlebois. Selon les chiffres de la firme Nielsen, ils privilégient les produits de marques connues. De plus, ils se procurent des fruits et légumes congelés ou en conserve plus souvent qu’à l’habitude.

Terrés chez eux, les consommateurs canadiens se sont aussi mis à cuisiner davantage – selon des chiffres publiés par l’Institut Vanier de la famille, ce serait le cas de 4 personnes sur 10. Leurs achats le démontrent. Selon la firme Nielsen, les ventes de farine ont augmenté de 54 % et celles de levure, de 88 %.

Face à la crise, leurs préoccupations aussi ont changé. « Avant la Covid, on parlait de protéines végétales, de développement durable, de plastique à usage unique, dit Sylvain Charlebois. Aujourd’hui, on parle de chaîne d’approvisionnement, de tablettes vides, de farine et de levure. Les gens sont revenus à la base. »

S’adapter à la vitesse grand V

De leur côté, les épiciers ont aussi dû s’adapter rapidement, tant pour gérer leurs stocks que pour prévenir la contamination, ils ont mis en place des mesures d’hygiène et de distanciation. Pour la plupart, ils ont fermé les comptoirs où le consommateur pouvait se servir lui-même, dont celui des aliments en vrac.

Parmi les autres conséquences remarquées, notons la diminution des soldes, à la demande des fournisseurs. En contexte de pandémie, Francis Parisien, vice-président Est-du-Canada à la firme Nielsen, y voit plusieurs motifs, dont le peu d’intérêt que les consommateurs portent alors aux rabais et la difficile gestion des soldes alors qu’il y a déjà beaucoup de tension sur les chaînes de production et d’approvisionnement.

Côté services en ligne et livraison, certains commerçants qui s’y adonnaient déjà ont grandement élargi leur offre. Mais ce n’est pas tout le monde qui s’y est mis. « Pour certains, la pandémie est arrivée trop rapidement », dit M. Charlebois.

Impact sur les prix ?

Cela aura-t-il un impact sur les prix à la consommation?

Pour l’instant, on ne prévoit pas d’effet sur l’inflation. Avant la crise, on prévoyait une inflation de 4 %, et c’est ce qu’on continue de prévoir. Cependant, parce que les consommateurs consacreront une plus grande part de leur budget à leur alimentation, ce taux d’inflation risque de leur peser davantage. »
Sylvain Charlebois

Heureusement qu’en cuisinant plus, on économise… Avec un dollar, on obtient beaucoup plus à l’épicerie qu’au restaurant, dit M. Charlebois. Or, avant la Covid-19, les Canadiens dépensaient en moyenne 38 % de leur budget alimentaire dans les restaurants… »

L’après-Covid

Les nouveaux comportements des consommateurs et des épiciers survivront-ils à la crise ? Personne ne peut le dire avec certitude. Mais M. Charlebois croit que le sentiment d’insécurité alimentaire des consommateurs ne s’envolera pas de sitôt, si bien qu’ils continueront à cuisiner. Un sondage d’Angus Reid publié en avril semble lui donner raison. Selon le spécialiste, on y indique que 62 % des Canadiens prévoient cuisiner davantage une fois la pandémie terminée, et que 56 % pensent recevoir davantage.

M. Charlebois entrevoit aussi une augmentation du jardinage. Dans un article que publiait le quotidien La Presse le 19 avril dernier, il écrivait : « En ligne, les ventes de compost et de semences marquent des hausses de 250 %, et les produits de multiplication enregistrent une augmentation de 150 %. Les ventes en ligne pour les produits de jardinage montrent des augmentations partout en Occident. »

Du côté des entreprises, les changements qu’elles proposent dans les manières de se procurer des biens vont-ils durer ? Ce sera sûrement le cas de l’achat en ligne, croit M. Charlebois. « Tranquillement pas vite, les gens vont s’intéresser de plus en plus au commerce électronique. Je pense que, d’ici 5 ans, au moins 7 % des consommateurs vont acheter en ligne de façon régulière. Ça va pas mal plus rapidement qu’on le croyait. La Covid va avoir accéléré les choses… Le réseau se sera adapté en conséquence. »