Fermer×
Habitation | Rubriques

Anarchie dans la rénovation écoénergétique

Par : Julie Barlow

Les programmes de rénovation écoénergétique sont de plus en plus populaires. Dans ce contexte, l’industrie de la rénovation doit être mieux encadrée et le gouvernement fédéral doit s’impliquer avec plus de constance.

Encourager les propriétaires de maison à consommer moins d’énergie contribuera certainement à aider le Canada à atteindre sa cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 30 % d’ici 2030. Selon un sondage réalisé dans le cadre de l’étude Incitations aux rénovations écoénergétiques : risques et possibilités pour les consommateurs, du Conseil des consommateurs du Canada (CCC), ceux-ci sont plus disposés que jamais à y contribuer.

L’auteur de l’étude, Michael Lio, n’a pas été surpris de découvrir que 82 % des propriétaires ayant participé à des programmes de rénovation écoénergétique étaient satisfaits du résultat. La mise aux normes environnementales touche aussi bien les vieux électroménagers que les ampoules, mais également des travaux plus importants comme l’isolation ou le remplacement de la « fournaise », des fenêtres et des portes. Les programmes, qu’ils soient fédéraux, provinciaux ou municipaux, offrent nombre d’incitatifs : subventions, escomptes, remboursements, allègements fiscaux, taux d’intérêt peu élevés, crédit sur les factures d’énergie. Le sondage montre que la moitié des propriétaires ont déjà participé à un tel programme. « Si vous devez remplacer votre vieil appareil et que votre distributeur de gaz vous propose de l’argent pour installer un modèle à haut rendement au même prix qu’un modèle régulier, allez-vous refuser ? Bien sûr que non ! » dit Michael Lio, ingénieur et président de buildABILITY, une firme de consultants torontoise spécialisée en efficacité énergétique.

Ça, c’est la bonne nouvelle de l’étude. La mauvaise, c’est que l’industrie de la rénovation doit surmonter bien des problèmes. Parmi les risques identifiés, il y a la mauvaise qualité du travail, l’incapacité pour le propriétaire d’évaluer la qualité de la remise aux normes, le truquage des prix, des économies d’énergie qui ne sont pas au rendez-vous, etc. « C’est une industrie où la réglementation est insuffisante. C’est un peu l’anarchie », dit Michael Lio.

L’étude du CCC est la première du genre à examiner en détail l’industrie de la rénovation énergétique du point de vue des consommateurs. Ces derniers, confirme-t-elle, ont beaucoup de bonnes raisons de participer aux programmes offerts. En plus de permettre des économies d’énergie parfois substantielles, ces travaux peuvent augmenter le confort et la valeur d’une maison, tout en sensibilisant les gens aux gains écoénergétiques et en aidant le pays à atteindre ses cibles climatiques. « Nous voulions analyser cette industrie du point de vue du consommateur. S’il y a des problèmes, ceux-ci retombent sur les épaules du propriétaire, qui doit payer les pots cassés », dit M. Lio.

Savoir dans quoi on s’embarque

Peu de consommateurs sont conscients des risques associés à des travaux écoénergétiques, lit-on dans l’étude. « C’est comme demander aux gens s’ils sont satisfaits de leur opération chirurgicale. Ce qu’ils peuvent dire, c’est s’ils ont ressenti de la douleur ou non, dit Michael Lio. La plupart ignorent ce que ces travaux sont censés donner, techniquement parlant. Quand ça change quelque chose pour le mieux, ils ont du mal à estimer à quel point. »

La rénovation est la partie la moins règlementée de l’industrie de la construction. « Dans la plupart des provinces, les constructeurs de maisons neuves doivent avoir un permis et les procédures de plaintes sont bien établies. On ne peut pas en dire autant de la rénovation, dit M. Lio. Même quand ils découvrent un problème, les propriétaires ont peu de recours. Et les distributeurs d’énergie tiennent rarement une liste de tous les rénovateurs qualifiés pour ce genre de travaux écoénergétiques. »

Les recours sont également compliqués du fait que les problèmes surgissent parfois plusieurs années après les travaux.

Quand il s’agit de travaux d’étanchéité, il est parfois difficile de juger immédiatement si la ventilation est adéquate. Il peut s’écouler dix ans avant qu’un travail d’isolation mal fait engendre de la condensation et des moisissures. Parfois le délai est trop long avant que quelqu’un fasse le lien entre des maux de tête et un mauvais travail d’isolation. Comme c’est l’argent des contribuables qui est en jeu, la surveillance en matière de qualité devrait être assurée par les programmes plutôt que par les consommateurs. »

Michael Lio, ingénieur, président de buildABILITY, une firme de consultants torontoise spécialisée en efficacité énergétique et auteur de l’étude

L’étude a également repéré un certain nombre de facteurs qui rendent difficile la participation aux programmes : information compliquée à trouver, propriétaires mal informés des programmes et des montants, difficulté à dénicher et à embaucher des ouvriers, manque d’information sur le financement et la protection contre la fraude. Les spécialistes consultés pour cette étude ont confirmé que la paperasserie et des critères de participation trop complexes dissuadent bien des propriétaires.

Une cible mouvante         

Malgré le potentiel réel de la rénovation écoénergétique en matière de réduction des gaz à effet de serre, les changements trop fréquents dans les règles nuisent à l’industrie, selon Michael Lio. « À une certaine époque, le gouvernement ontarien avait lancé un programme pour le changement de fenêtres. Tous les installateurs ont voulu en profiter et ont investi en conséquence. Puis le gouvernement suivant a annulé le programme, faisant disparaître les incitatifs », raconte M. Lio, qui ne compte plus les fois où il a vu des entrepreneurs se retrouver Gros-Jean comme devant. « Ça fait du tort aux entreprises. Qu’elles soient dans l’isolation ou l’installation de systèmes de chauffage, elles investissent sur la foi de perspectives de marché suscitées par les programmes. Si ceux-ci changent constamment au gré des gouvernements, les entrepreneurs n’ont pas la stabilité requise pour investir de manière durable. »

Le chercheur déplore également que le gouvernement fédéral se soit retiré du secteur. Entre 2007 et 2012, celui-ci a versé 934 millions de dollars en subventions à 640 000 propriétaires.  Et les participants ont réduit leur consommation énergétique de 23 %. Depuis la fin du programme fédéral écoÉnergie Rénovations – Maisons en 2012, plus rien n’a été fait.

Michael Lio croit que le gouvernement fédéral devait revenir dans le décor afin d’assumer un leadership et de stabiliser l’industrie.

Il doit développer une perspective à long terme quant à la rénovation écoénergétique, et structurer son intervention pour qu’elle devienne indépendante des changements de gouvernement. Il n’est pas acceptable que tout passe à la trappe chaque fois qu’un nouveau gouvernement arrive au pouvoir. »

Michael Lio

Mais est-ce vraiment la responsabilité de l’État d’intervenir pour améliorer les demeures des gens ? La chose est logique quand on songe que les inefficacités énergétiques actuelles découlent largement de normes devenues désuètes. Selon le sondage, 78 % des répondants sont en faveur de tels programmes écoénergétiques. « On sait que les incitatifs fonctionnent, on l’a vu. Les gens regardent leurs fenêtres à simple vitrage et, quand ils voient un programme qui les aide à passer à des fenêtres haute performance à triple épaisseur, ils s’inscrivent, dit Michael Lio. Mais ça prend des programmes. »

L’étude

Incitations aux rénovations écoénergétiques : risques et possibilités pour les consommateurs est une étude réalisée par le Conseil des consommateurs du Canada en 2017 grâce au soutien financier d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Elle se base sur un sondage national réalisé auprès de 1 500 propriétaires de maison, des discussions de groupe à Montréal et Toronto et des entrevues auprès de 36 témoins privilégiés actifs dans le domaine. L’étude visait à examiner ce que les propriétaires estiment être les avantages et les risques des programmes de travaux écoénergétiques pour l’isolation ou encore le remplacement d’une « fournaise » ou de fenêtres.

L’étude a montré que les consommateurs y sont très favorables, mais que ces programmes exigent de meilleures règles et des contrôles plus serrés. Dans bien des cas, les consommateurs n’ont aucun moyen de s’assurer de la qualité du travail réalisé sur leur maison et ne peuvent obtenir réparation quand le travail est mal fait. L’étude conclut que les gouvernements, et en particulier le fédéral, doivent mieux réguler et stabiliser leurs programmes d’encouragement.