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COVID-19 – Le point sur l’endettement des consommateurs

Par : Maryse Guénette
Photo: Steve Buissinne (Pixabay)

Pour un organisme ontarien, la pandémie actuelle a été l’occasion de jeter un nouvel éclairage sur l’endettement des ménages à revenu faible et modeste. Cela a permis d’obtenir des données intéressantes et de découvrir des pistes de solutions.

Lorsque la COVID-19 a fait son apparition, l’endettement des consommateurs atteignait des sommets inquiétants. Depuis, les pertes d’emploi se sont multipliées, entraînant une réduction de revenus chez plus de 5,5 millions de Canadiens. Les mesures d’aide offertes par le gouvernement fédéral ont permis aux consommateurs de garder la tête hors de l’eau, mais elles ne seront pas éternelles… Qu’adviendra-t-il après ?

Pour le savoir, Prospérité Canada, un organisme à but non lucratif qui a pignon sur rue à Toronto, s’est intéressé à l’endettement des consommateurs à faible et à modeste revenu dans l’étude intitulée Roadblock to Recovery: Consumer debt of low -and moderate-income Canadian households in the time of COVID-19 (en anglais seulement). « Nous avons regardé tant la situation des personnes à faible revenu que celle des personnes à revenu modeste, dit Elizabeth Mulholland, présidente-directrice générale de l’organisme. Car, selon leur budget, bien des gens sont tantôt dans une de ces situations, tantôt dans l’autre. »

Selon la spécialiste, une telle étude était nécessaire car les données auxquelles on se fie habituellement sont trompeuses. « Elles incluent la dette hypothécaire, dit-elle, alors que les personnes à faible revenu ne possèdent pas d’hypothèque. De plus, ces données ne tiennent pas compte des disparités entre les différents groupes de Canadiens. Or, les personnes issues des minorités visibles et les peuples autochtones sont parmi les plus touchées par les problèmes financiers. »

 

Une situation préoccupante

Mme Mulholland fait remarquer que la moitié des personnes à revenu faible et à revenu modeste n’ont pas de dettes. Mais quand elles en ont, il s’agit de sommes importantes :  dans bien des cas, ces consommateurs consacrent le tiers de leur revenu à les rembourser. « Cette situation est extrêmement préoccupante », dit-elle.

Les personnes à faible revenu ont juste assez d’argent pour répondre à leurs besoins, ou encore pas tout à fait assez. Alors, si une grande proportion de leurs revenus sert à rembourser des dettes, comment peuvent-elles aussi payer leur loyer et se procurer de la nourriture ? »

Elizabeth Mulholland, présidente-directrice générale de Prospérité Canada

Le soutien gouvernemental venu aider les consommateurs durant la pandémie a été bénéfique. Selon la spécialiste, il a même permis à plusieurs d’être plus à l’aise qu’avant. Par ailleurs, il a créé un faux sentiment de sécurité. « Plusieurs personnes peuvent avoir eu l’impression que leurs finances personnelles n’ont pas souffert de la pandémie, dit Mme Mulholland. Mais leurs dettes sont toujours là et elles devront un jour les rembourser. Elles pourraient aussi avoir de l’impôt à payer sur les sommes reçues du gouvernement. Cela risque d’être tout un défi pour elles. »

 

Au banc des accusés

On pourrait penser que les dettes de cartes de crédit sont celles qui causent le plus de problèmes. Même si ce sont les plus courantes, elles ne constituent qu’une petite proportion de la dette totale des personnes. En revanche, la dette d’études, que l’on trouve presque exclusivement chez les personnes à faible revenu et à revenu modeste, elle, est très élevée : sa médiane est de 12 000 $ pour les personnes à faible revenu et de 15 000 $ pour les personnes à revenu modeste. Elle est donc très difficile à rembourser, même une fois les études terminées. « Le problème, c’est aussi que les prêts et bourses fournissent de l’argent pour les études, mais pas pour toutes les dépenses liées à aux études, dit Mme Mulholland. La somme octroyée n’étant pas suffisante, plusieurs personnes doivent arrêter leur formation avant d’avoir obtenu leur diplôme. Elles se retrouvent alors avec une dette, mais sans crédit pour améliorer leurs perspectives d’emploi. »

Le prêt auto de longue durée – 7 ou 8 ans – pose lui aussi problème. « Avec un tel prêt, le consommateur risque fort d‘avoir, après quelques années, une dette plus élevée que la valeur de son véhicule, dit Mme Mulholland. Il risque aussi de devoir continuer à payer une auto qui ne fonctionne plus. » Or, pour les travailleurs des régions rurales ou des banlieues mal pourvues en transport en commun, un véhicule automobile est un bien essentiel. Ne plus en avoir un peut signifier perdre son emploi.

 

Pour que des changements surviennent

Mme Mulholland croit qu’il est important que les gouvernements se penchent sur les problèmes liés aux prêts étudiants et aux prêts auto de longue durée.

Au cours des trois dernières années, la plupart des provinces ont amélioré par des lois la protection des consommateurs en matière de prêt sur salaire. Et cela a donné des résultats. Maintenant, il est temps de porter attention aux autres types de prêts à taux élevés. Pour que la démarche soit efficace, il faut que les gouvernements, les institutions financières et les groupes de consommateurs travaillent ensemble. »

Elizabeth Mulholland

Mme Mulholland est optimiste, car elle sait que des solutions existent. Le rapport publié par son organisme fait d’ailleurs état de plusieurs décisions prises au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Parmi celles-ci, mentionnons le microcrédit, soit l’octroi de petits prêts à bas taux pour l’achat de biens essentiels – notons qu’Option consommateurs offre un tel produit en collaboration avec Desjardins –, des solutions de remplacement au prêt sur salaire – qui est interdit au Québec – ainsi que la création d’outils axés sur les besoins des consommateurs et leur permettant de découvrir quels produits financiers sont les mieux adaptés à leurs besoins.

Le rapport suggère également la réalisation de nouvelles études, notamment sur les motifs qui poussent les consommateurs à s’endetter.  « Il faut penser à ce que l’on peut faire maintenant, et aussi à ce qu’il faudra faire dans l’avenir », dit Mme Mulholland. Car il y a et il y aura encore beaucoup de gens à aider.

L’étude

L’étude intitulé Roadblockto Recovery: Consumer debt of low- and moderate-income Canadian households in the time of COVID-19 (Prosperité Canada, 2020) s’intéresse à l’endettement des consommateurs à revenu faible et modeste. En prêtant attention aux causes de cet endettement, à la somme qu’il représente ainsi qu’à sa composition, les chercheurs ont récolté des données dont on pourra tenir compte lors de la reprise économique afin d’aider les Canadiens à maintenir ou à reconstruire une certaine stabilité financière.

Pour réaliser cette étude, les chercheurs ont analysé les données de l’Enquête sur la sécurité financière (ESF) de 2016 de Statistique Canada (qui n’inclut pas les ménages résidant dans les territoires, dans les réserves ou dans les résidences pour personnes âgées). Ils ont aussi parcouru l’ensemble des études et des données canadiennes pertinentes. Enfin, ils se sont penchés sur les initiatives ayant cours au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande pour permettre aux consommateurs d’éviter l’endettement ou de s’en sortir.