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Covid-19 – Finances personnelles: le calme avant la tempête?

Par : Maryse Guénette
CRÉDIT PHOTO : Michael Longmire (Unsplash)

Les personnes à faible revenu n’ont pas eu la tâche facile depuis le début de la pandémie. Coup d’œil sur ce qu’elles ont traversé, et sur ce qui les attend peut-être.

D’abord un peu de bonnes nouvelles. On pourrait croire que les Canadiens ont vécu des difficultés insurmontables depuis que la Covid-19 a fait son apparition. Pourtant, selon François Décary, directeur général de l’ACEF-ABE et président de l’Union des consommateurs, les choses se sont en général bien passées.

Même son de cloche au Centre EBO, un organisme ontarien à but non lucratif dont la mission est de lutter contre l’exploitation et l’endettement par l’éducation financière. François Leblanc, coach budgétaire, y tient les rênes d’un programme dont profitent des personnes à revenu modeste mais stable. « Pour la plupart, elles sont parvenues à traverser la crise de la Covid-19 sans s’endetter outre mesure, dit-il. Comme elles dépensaient moins, elles se rendaient facilement à la fin du mois. Certaines ont même été capables d’amortir leur dette. »

Comment expliquer cela? « En mettant en place des mesures permettant aux gens de continuer à faire face à leurs obligations, le gouvernement fédéral a bien agi, dit François Décary, pour qui la Prestation canadienne d’urgence (PCU) a « aidé beaucoup de monde ». Les institutions financières et les fournisseurs de services aussi ont aidé, notamment en facilitant les reports de paiements. Nous sommes contents qu’ils aient tenu compte de l’incapacité de payer de certains consommateurs. »

De tels propos tenus par un ardent défenseur des consommateurs – car c’est bien ce qu’est François Décary – ont de quoi surprendre. Mais le spécialiste tient à rendre à César ce qui lui appartient. « Les choses n’ont pas été parfaites, dit-il. On aurait préféré que les mesures soient plus uniformes, que les gouvernements donnent une direction plus ferme aux institutions financières afin que les gens ne paient pas trop d’intérêt, surtout sur les cartes de crédit à taux élevé. Mais, honnêtement, je n’ai pas grand-chose à redire. Ce qui a été fait par le gouvernement a dépassé mes attentes. »

M. Décary s’inquiète tout de même pour les personnes dont la situation financière posait problème avant la pandémie, et pour celles qui n’ont pas de coussin financier. Et elles sont nombreuses! Le pourcentage de Canadiens vivant d’une paie à l’autre était de 43 % en 2019, selon les chiffres de l’Association canadienne de la paie. « Le report des versements hypothécaires peut aider, dit-il, car les versements impayés sont reportés au terme suivant et remboursés sur une longue période. Mais les reports de paiement pour d’autres biens de consommation, eux, sont plus risqués. Pensons à un véhicule acheté en deuxième chance et payé sur 3 ans. Si on reporte de 6 mois des paiements, on doit tout de même continuer d’utiliser le véhicule, de le faire le réparer… Un moment donné, ça ne vaut pas la peine… »

 

Les grands oubliés

Si les programmes gouvernementaux ont été généreux, ils ont laissé dans l’ombre certaines catégories de citoyens, dont les personnes qui vivent de l’aide sociale « sans contraintes à l’emploi ». Au Québec, ces personnes reçoivent 690 $ par mois. Et elles ont le droit de gagner 200 $ de plus sans être pénalisées. « Souvent, elles parviennent à obtenir cette somme en faisant de petits boulots, dit Harry Penso, conseiller au développement communautaire à Option consommateurs. Ça leur permet de boucler leurs fins de mois. Mais avec la Covid, elles ont presque toutes perdu ce revenu supplémentaire.

Les personnes vivant de l’aide sociale ont vraiment traversé une période difficile. »
Harry Penso, conseiller au développement communautaire à Option consommateurs

François Décary abonde dans le même sens. « Le gouvernement n’a pas été sensible aux personnes qui ont un revenu très modeste. Il aurait vraiment fallu une petite bonification pour elles », dit-il, pour ajouter aussitôt que c’est d’une importante bonification qu’elles ont réellement besoin.

 

Des difficultés particulière

Les personnes à faible revenu ont rencontré d’autres problèmes « Au début de la pandémie, elles n’avaient pas les moyens de faire des provisions, dit M. Penso. Par la suite, les tablettes se sont vidées et les rabais ont disparu. Alors, plusieurs n’ont pas eu d’autre choix que de se tourner vers les banques alimentaires. » Heureusement, ce service, qui est loin d’être uniforme, s’est en quelque sorte réinventé.

Le grand nombre de demandes a amené le milieu communautaire à se réorganiser. Il y a eu là un petit boum d’innovation sociale. »
François Décary, directeur général de l’ACEF-ABE et président de l’Union des consommateurs

Ces personnes ont aussi eu de la difficulté à payer leurs achats. « D’habitude, elles paient comptant, dit Harry Penso, car elles n’ont pas de cartes de crédit. » Lorsque les commerçants se sont mis à refuser l’argent comptant, elles ont été obligées de payer avec leur carte de débit. « Puisque, la plupart du temps, leur forfait inclut peu de transactions, cela a eu pour conséquence d’augmenter leurs frais bancaires. » Le spécialiste précise que, heureusement, des institutions financières ont fait montre d’une certaine flexibilité.

Il y a des personnes à faible revenu se sont procuré une carte de crédit prépayée. « Ce n’est pas un produit que l’on recommande, dit François Décary. Car même si le consommateur doit avancer de l’argent pour détenir une telle carte, lorsqu’il saute un paiement, il doit payer de l’intérêt sur toute la somme due. » D’autres encore se sont peut-être tournées vers des prêteurs en ligne. On ne sait pas encore s’il y a eu recrudescence de ce type de prêt, mais on sait que c’est très populaire auprès des personnes à faible revenu.

 

Et maintenant?

Nul ne sait quelles seront les conséquences de la Covid-19 sur les finances personnelles des consommateurs dans les mois, voire les années qui viennent. Mais plusieurs s’inquiètent. C’est vrai qu’il existe beaucoup de mesures d’aide. Mais qu’arrivera-t-il quand ces mesures cesseront?

On se demande également si la crise affectera le dossier de crédit de ceux qui ont eu recours à un report de paiement. Pour François Décary, cela dépend de la manière dont les bureaux de crédit traiteront l’information qu’ils reçoivent, et aussi de l’analyse qu’en feront les institutions financières.

Est-ce que, dans quelques années, un prêteur fera le lien entre l’information qui se trouve au dossier de crédit d’un consommateur et la crise de la Covid-19? Et si oui, qu’en déduira-t-il? »
François Décary

Autre chose: quel sera l’impact de la pandémie sur le stress ressenti par les travailleurs à faible revenu? Selon Statistique Canada, « 27% des travailleurs canadiens prétendent avoir un niveau de stress élevé à extrême sur une base quotidienne ». François Leblanc craint que cette proportion augmente. « Cet automne, peut-être que 40 à 45 % des travailleurs se diront financièrement stressés. »

Malgré tout, François Décary se montre optimiste. « On a beaucoup appris de la crise de 2008, dit-il. On se rappelle ce qui est arrivé en Floride. Ça s’est produit parce que les institutions financières avaient été rigides et n’avaient pas mis en place des mesures d’assouplissement en lien avec les reports de paiements. Actuellement, on ne s’en va pas vers ce scénario-là. »

Pour sa part, François Leblanc a l’impression que nous sommes dans une période « de calme avant la tempête ». Il croit qu’on aura un portrait plus juste de la situation quand la PCU cessera d’être versée. Et quand on saura combien d’emplois auront été perdus à cause de la pandémie. « Que feront ceux qui se retrouveront sans travail? Pigeront-ils dans leurs économies? Vendront-ils leurs actifs? Se tourneront-ils vers le crédit pour étirer la sauce? C’est difficile à dire pour l’instant. Mais on sait que les gens à revenu modeste sont ceux qui risquent le plus de perdre leur emploi… En tout cas, nous, pour aider cette clientèle, on se prépare à travailler fort cet automne… »