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Argent | Rubriques

L’âge d’or dans le rouge

Par : Jean-Benoît Nadeau

Les aînés sont de plus en plus nombreux à être surendettés, ce qui a des conséquences sérieuses sur leur santé et leur espérance de vie. Il faut former les intervenants sociaux afin qu’ils soient en mesure de repérer ce problème trop souvent caché.

De tout temps, chaque personne qui envisageait la vieillesse se posait cette question : est-ce que j’aurai assez d’argent ? La grande crainte, c’était de survivre à ses épargnes, c’est-à-dire de manquer d’argent du fait d’avoir vécu plus longtemps que prévu. Or, de nos jours, les facilités de crédit sont telles qu’un nouveau problème s’ajoute : de plus en plus d’aînés amorcent la retraite avec de grosses dettes qui grèvent non seulement leurs finances, mais souvent aussi leur santé physique et psychologique.

Entre 1999 et 2015, les dettes des personnes de 65 ans et plus ont presque doublé pour atteindre 50 000 $ en moyenne – dont une large part, près de 70 %, serait due à des dettes de consommation. Depuis 10 ans, le nombre de faillites dans ce groupe a augmenté de 131 %. À l’échelle canadienne, un sondage réalisé par le Baromètre Financière Sun Life révèle que le quart des Canadiens traînent des dettes à la retraite, dont les deux tiers en cartes de crédit, qu’ils peinent à rembourser.

La hausse du coût de la vie fait que les gens n’ont pas le choix de recourir au crédit pour joindre les deux bouts, mais ça devient vite un piège. »

Élisabeth Gibeau, analyste, politiques et réglementation en matière de politiques sociales et fiscales et en matière de santé à l’Union des consommateurs, et coauteure de l’étude Émergence de l’endettement chez les personnes aînées : bien comprendre pour mieux agir

Cette recherche conjointe de l’Université de Sherbrooke et de l’Union des consommateurs visait un double objectif : expliquer l’endettement des aînés et outiller les intervenants sociaux afin qu’ils puissent agir.

C’est souvent un problème caché. Dans les groupes de discussion, plusieurs participants nous disaient : “Vous êtes la première personne à qui je parle de mes problèmes. Mes enfants ne savent pas que je suis surendetté, sur le point de craquer.” »

Yves Couturier, professeur à l’Université de Sherbrooke, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les pratiques professionnelles d’intégration de services en gérontologie et coauteur de l’étude

Vieillir avec ses vieilles dettes

Ce travail de type « recherche-action », qui dans ce cas s’appuie principalement sur des groupes de discussion formés de 42 aînés et de 29 intervenants sociaux, a suscité quelques surprises auprès des chercheurs. « Notre a priori était que l’endettement avait lieu après la retraite, mais nous avons constaté que la majorité des aînés surendettés arrivent déjà endettés à la retraite », dit Élisabeth Gibeau. Les facteurs sont multiples, selon Yves Couturier : maladie, divorce tardif, sous-estimation de l’espérance de vie, crédit facile, entraide intergénérationnelle (argent versé aux enfants, petits-enfants, neveux, nièces, etc.).

Avant de penser à outiller les intervenants sociaux, les chercheurs ont déterminé six trajectoires menant à l’endettement, quelles que soient les causes individuelles. Par exemple, certaines personnes ont toujours vécu avec de grosses dettes, de manière ininterrompue ou en montagnes russes. D’autres se sont lourdement endettées peu avant leur retraite. D’autres encore tombent dans le rouge après la retraite, alors qu’elles n’avaient jamais connu ce problème. « Dans tous les cas, certains événements particulièrement pesants, comme la maladie, le divorce, le décès d’un conjoint ou des rénovations mal contrôlées, aggravent la situation », dit Yves Couturier.

À partir de ces constats, les chercheurs ont élaboré un outil de dépistage et un outil d’intervention en collaboration avec un comité de travail émanant de six associations coopératives d’économie familiales (ACEF). Le test de dépistage se présente sous la forme d’un petit test éclair que les gens sont appelés à remplir. Il s’agit simplement de répondre oui ou non à neuf affirmations du genre : « Je ne comprends pas ma situation financière », ou « Je fais des dons à mes proches même si je n’en ai pas les moyens ».

Sous ces apparences banales, ce test éclair vise à susciter une prise de conscience afin que les premiers concernés fassent eux-mêmes la démarche vers leur ACEF. Et ça marche : selon Élisabeth Gibeau, ce test est devenu très populaire dans les ACEF et auprès des regroupements d’aînés. « Les gens en prennent plusieurs exemplaires et les distribuent à leur entourage, dit-elle. Souvent, ils font le test pour eux-mêmes et ils appellent leur ACEF pour consulter ou pour y diriger un proche. »

Des intervenants mieux équipés

L’autre outil est une grille d’intervention destinée aux intervenants, qui peuvent être des travailleurs sociaux ou des psychologues employés dans des CLSC, des hôpitaux ou des organismes communautaires.

« Les intervenants qui ont souvent un bagage en travail social ou en psychologie ne sont pas formés en finances personnelles, dit Yves Couturier. Mais notre étude montre qu’ils peuvent se trouver devant des indicateurs assez clairs : un divorce tardif, le décès d’un conjoint, une maladie, toutes des choses qui risquent de mettre les finances sous tension. Dans un tel cas, une lumière rouge devrait s’allumer dans l’esprit d’un intervenant. Il devrait alors interroger la personne pour connaître l’effet de ces événements sur sa situation financière. »

Si, par exemple, l’intervenant observe ou apprend que la personne fait souvent des dons à des proches, le guide d’intervention suggère de poser certaines questions plus précises telles que : « En avez-vous les moyens ? », « Recevez-vous des visites chaque 1er du mois ? » ou « Avez-vous signé une procuration donnant accès à votre compte ? » Sur la base des réponses, l’intervenant est alors en mesure d’élaborer des conseils de vie et de suggérer des ressources d’aide comme l’ACEF locale, la Ligne Aide Abus Aînés (pour ceux qui se font voler par leur entourage), la Chambre des notaires ou le Réseau FADOQ, voire le curateur public.

Dans les 12 ACEF membres de l’Union des consommateurs, la réponse à nos outils a été très bonne. L’ACEF Montérégie-Est a même organisé une conférence destinée aux personnes âgées. À l’Université de Sherbrooke, deux des étudiants qui ont participé à l’étude ont imaginé un microprogramme d’intervention financière en gérontologie. »

Élisabeth Gibeau

Selon Yves Couturier, les aînés en difficulté ne pourront pas tous s’en sortir, mais les trajectoires de vie montrent que, pour plusieurs, la chose est possible. Cependant, certains devront déclarer faillite pour se débarrasser de leurs dettes. « Les stratégies à adopter dépendent des situations individuelles, dit-il. Il y en a qui pourront prendre un petit boulot, d’autres devront modifier leur style de vie. Les consultants budgétaires ont un grand rôle à jouer, notamment pour dédramatiser la faillite. Ça ne se s’appelle pas une “libération de dettes” pour rien. »

Bien que ce travail soit méritoire, Élisabeth Gibeau juge que le gouvernement a une grande responsabilité dans la prévention du surendettement. « S’il veut vraiment régler le problème, dit-elle, il doit hausser les revenus de retraite et créer une assurance médicaments. »

L’étude

Réalisée conjointement par une équipe de l’Université de Sherbrooke et l’Union des consommateurs, Émergence de l’endettement chez les personnes aînées : bien comprendre pour mieux agir est une étude de type « recherche-action » publiée en février 2017. Le travail visait à la fois à étudier le phénomène de l’endettement chez les aînés et à outiller les intervenants pour les aider à identifier un problème trop souvent caché.

Les groupes de discussion et l’examen de la littérature scientifique montrent que la grande majorité des aînés aux prises avec le surendettement à la retraite sont des gens qui ont vieilli avec leurs dettes. Sur la base de ce constat, les chercheurs ont identifié six trajectoires puis, en collaboration avec un comité d’intervenants, ont monté une série d’outils. L’outil d’autodétection se présente sous la forme d’un questionnaire simple que les personnes peuvent remplir pour les aider à prendre conscience de leur situation et à chercher de l’aide. Quant à l’outil d’intervention, beaucoup plus élaboré, il aide les intervenants auprès des aînés à cerner la cause exacte du problème et à proposer des solutions.