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Alimentation et santé | Environnement

Des poisons cachés dans nos maisons

Par : Julie Barlow

Surprise ! Le Canada ne contrôle pas les substances toxiques présentes dans nos produits d’entretien ou de soins personnels. Une aberration qui met en danger la santé des consommateurs.

Nombre de produits de consommation courants contiennent des produits chimiques liés à la hausse du nombre de cancers de la prostate, du sein et de la glande thyroïde. C’est ce que démontrait une étude conjointe de l’Organisation mondiale de la santé et du Programme des Nations Unies pour l’environnement en 2012. Et pourtant, sept ans plus tard, les Canadiens ignorent toujours que leurs produits d’entretien ou de soins personnels contiennent des substances toxiques.

La raison est à la fois simple et alarmante :

Au Canada, aucune loi ne force les entreprises à divulguer, à Santé Canada ou sur les contenants eux-mêmes, la présence de produits chimiques potentiellement toxiques. »

Muhannad Malas, gestionnaire du programme Produits toxiques à Environmental Defence.

L’OBNL signe le rapport Liste de tous les ingrédients : la nécessité d’opter pour un étiquetage des produits d’entretien plus rigoureux. Selon cette étude, les consommateurs canadiens ne sont pas en mesure de prendre des décisions éclairées quant aux produits qu’ils utilisent.

Depuis 1984, cet organisme torontois préconise une réglementation rigoureuse en la matière. La Californie l’a fait dès 1986, mais les Canadiens attendent encore. « Depuis 20 ans, il n’y a pas eu de grosse évolution vers une plus grande transparence. Les consommateurs sont dans le noir. Personne ne sait ce que les fabricants mettent dans les produits courants comme les shampooings, les savons, les lotions corporelles, les parfums, les produits nettoyants, les meubles ignifugés », dit Muhannad Malas.

Plus de transparence, s’il vous plaît

L’étude d’Environmental Defence révèle un consensus très large sur cette question. « Dans le sondage national que nous avons commandé, 92 % des répondants ont dit souhaiter la divulgation complète et l’étiquetage des produits chimiques nocifs présents dans ce qu’ils achètent, dit M. Malas. C’est un taux très élevé. Même les sondeurs étaient surpris : il est rare de voir émerger un tel consensus. »

Quels sont les risques d’un tel silence ? Le maquillage, les shampooings, les meubles, les produits d’entretien contiennent du formaldéhyde, des parabènes, des phtalates et des ignifugeants. Ces produits chimiques sont tous associés aux cancers, aux troubles hormonaux et aux anomalies congénitales. Quelques multinationales, comme Proctor & Gamble ou SC Johnson & Son, ont publié des listes d’ingrédients sur leur site web, mais celles-ci figurent très rarement sur le produit lui-même.

Les fabricants canadiens sont réticents à le faire.

Dans les consultations officielles, les représentants de l’industrie disent que la mesure serait inutile parce que les consommateurs se plaignent que ces listes sont incompréhensibles de toute manière. Mais c’est faux. Les gens veulent savoir que les fabricants sont transparents et ils veulent savoir ce qui peut présenter un risque pour la santé dans le produit. »

Muhannad Malas

Des divers groupes de discussion consultés, il est ressorti plusieurs raisons expliquant pourquoi les Canadiens n’ont pas encore poussé les entreprises à plus de transparence. Ces raisons tiennent à des suppositions en matière de réglementation et au fait que les Canadiens ne sont pas informés des risques.

Ainsi, « les gens croient que la loi oblige le gouvernement à faire des tests rigoureux », dit M. Malas. Il n’en est rien. En 2016, le rapport de la commissaire à l’environnement et au développement durable, qui relève du vérificateur général du Canada, a conclu que nombre de produits de consommation courante contiennent des substances nocives. Ceux-ci peuvent inclure les sulfates, les parabènes et les oxybenzones.

Mais quels sont les risques ?

L’autre problème réside dans le risque perçu. « La plupart des problèmes de santé comme les cancers de la prostate et du sein ou encore les troubles hormonaux apparaissent généralement tard dans la vie, dit Muhannad Malas. Parce que le risque n’est pas immédiat, les gens s’en inquiètent moins. »

Or, les groupes de discussion ont montré que les gens veulent savoir ce que contiennent les produits et ce qu’ils devraient éviter. Ce qui soulève un problème d’information, car les mêmes groupes ont montré qu’une simple liste ne serait d’aucune aide. « La plupart des gens ne comprennent rien aux produits chimiques, surtout quand il s’agit de noms compliqués écrits en petits caractères dit Muhannad Malas. Il faut être toxicologue pour comprendre de quoi il s’agit et en estimer le risque. »

Il ajoute : « Ce que les gens nous ont dit, c’est qu’ils veulent qu’on leur simplifie la vie en leur donnant l’information dont ils ont besoin. Ils veulent que ce soit clairement indiqué afin de comprendre l’enjeu et de pouvoir chercher une autre option. »

Les groupes de discussion ont soutenu que les médias auraient certainement leur rôle à jouer pour informer le public, a fortiori si les fabricants étaient obligés de publier la liste des produits nocifs. Quand les gens apprennent par les médias qu’un produit présente un risque pour l’environnement ou la santé, ils deviennent plus curieux, dit Muhannad Malas. Mais comment les consommateurs peuvent-ils connaître le risque que les produits présentent pour leur santé si personne ne sait ce qu’ils contiennent ? »

Muhannad Malas

Le cas californien

Le problème est complexe, mais d’autres gouvernements s’y sont penchés. Dès 1986, la législature californienne a voté en faveur de la Proposition 65. Cette loi exige que les fabricants affichent un avertissement sur les produits contenant au moins un produit chimique pouvant causer le cancer ainsi que des préjudices à la procréation, incluant les anomalies congénitales. « Afin d’éviter d’avoir à inscrire un avertissement, plusieurs fabricants ont modifié la composition de leur produit pour en retirer les ingrédients nocifs », lit-on dans l’étude.

Outre la Californie, seul l’État de New York a légiféré en la matière. La Californie, elle, a émis en 2017 une nouvelle loi, soit la « Loi sur le droit de savoir le contenu des produits nettoyants (Cleaning Product Right to Know Act) ». Cette loi oblige le fabricant à inscrire sur l’étiquette ou en ligne tous les ingrédients, y compris les substances non actives (et si la liste sur le produit est incomplète, l’étiquette doit renvoyer explicitement au site web). « Ces deux lois sont les plus modernes en leur genre. Ce sont des modèles à suivre pour le Canada », dit Muhannad Malas.

Environmental Defence a conclu que les programmes volontaires de divulgation sont insuffisants. Son rapport cite une enquête réalisée par la Fondation David Suzuki, en 2014, selon laquelle seulement la moitié, parmi 15 000 produits recensés, comportait une liste d’ingrédients,  tandis que le quart se donnait une étiquette écologique sans fondement.

Muhannad Malas note néanmoins quelques signes encourageants. À la suite de 16 mois de travaux pour la révision de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, Catherine McKenna, ministre de l’Environnement et du Changement climatique, s’est engagée à étudier la question de l’étiquetage afin de réduire l’exposition aux substances nocives. « Au fond, le gouvernement s’est seulement engagés à examiner cette question-là, dit M. Malas. Pour nous, l’important est de savoir ce qui va en résulter. Nous demandons la transparence totale quant aux ingrédients, avec un accent particulier sur les produits préoccupants. Reste à savoir si cette divulgation se fera sur le contenant ou en ligne, en petits ou en gros caractères. Ça fera partie des discussions quand le gouvernement sera prêt à agir. »

L’étude

En janvier 2017, l’association Environmental Defence publiait une étude intitulée Liste de tous les ingrédients : la nécessité d’opter pour un étiquetage des produits d’entretien plus rigoureux. Réalisée grâce au soutien financier d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, cette étude visait à vérifier si les Canadiens sont conscients que leurs produits d’entretien et de soins personnels peuvent causer le cancer, des anomalies congénitales ou des troubles hormonaux.

De cette étude basée sur un sondage d’Environics Research et des groupes de discussion à Toronto, il ressort que les Canadiens sont mal informés des risques en cause et qu’ils supposent, à tort, que le gouvernement exige des tests en la matière. L’étude examine également les problèmes que présente cette information, notamment quant à la compréhension des risques par le public. Le rapport, qui examine également les politiques existantes, recommande que le gouvernement canadien s’inspire de la Californie, qui légifère sur la question depuis trois décennies.