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Alimentation et santé | Justice

Obésité infantile et publicité destinée aux enfants: même combat!

Par : Maryse Guénette
Crédit photo: McKaela Taylor (Unsplash)

Pour contrer l’obésité infantile, une étude suggère au gouvernement canadien de s’inspirer des articles de la loi québécoise sur la protection du consommateur qui interdisent la publicité aux enfants. L’initiative mérite qu’on s’y arrête.

Partout dans le monde, on assiste à une augmentation du taux d’obésité chez les enfants. Le Canada ne fait pas exception. On estime que ce taux y a presque triplé aux cours des 30 dernières années.

Pour que la situation s’améliore, l’étude intitulée Publicité sur la malbouffe au Canada : Quel serait le meilleur encadrement?, publiée par Union des consommateurs, propose au gouvernement fédéral d’adopter une loi qui s’inspire des dispositions prévues aux articles 248 et 249 de la loi québécoise sur la protection du consommateur. Ces articles interdisent non seulement la publicité sur la malbouffe, mais toute publicité destinée aux enfants.

« Le Québec est la province canadienne où le taux d’obésité chez les enfants de 6 à 11 ans est le plus faible, dit Élisabeth Gibeau, analyste en matière de santé à cet organisme et auteure de l’étude. Bien qu’il soit difficile de faire un lien direct avec la publicité destinée aux enfants, selon des chercheurs, les dispositions de la loi québécoise y sont pour beaucoup. »

 

Pourquoi cette interdiction ?

Il peut sembler surprenant d’interdire la publicité destinée aux enfants, puisque ce sont les parents qui achètent les aliments. Si on a choisi d’agir ainsi, c’est que « le point de vue des enfants a un impact sur les achats faits par la famille », dit Mme Gibeau. Même que, selon la Coalition québécoise sur la problématique du poids (Coalition Poids), les enfants mineurs influenceraient 40 % de ces achats.

Il y a aussi que les entreprises, elles, voient les enfants comme des consommateurs. Dans le rapport dont il est question ici, l’auteure cite Roy Bergold, qui a été directeur de la « publicité monde » chez McDonald’s de 1969 à 2001. Il suggère d’axer les campagnes de marketing sur les enfants afin de les fidéliser.  « Si vous pouvez attirer un enfant à 4, 5 ou 6 ans chez McDonald’s, il va probablement continuer à venir quand il sera adolescent, puis adulte, et puis il viendra avec ses enfants », dit-il.

Ajoutons que les recherches indiquent « un lien de cause à effet probant entre les activités promotionnelles de l’industrie agroalimentaire et les connaissances, comportements et préférences alimentaires des jeunes ». Pour Mme Gibeau, cela n’a rien de surprenant.

L’évolution récente des neurosciences montre bien que jusqu’à un certain âge, les enfants n’ont pas le cerveau suffisamment développé pour bien faire la part des choses quand ils voient une publicité. Cela les rend particulièrement vulnérables aux désirs et aux besoins créés par la publicité. »

Élisabeth Gibeau, analyste en matière de santé à Union des consommateurs et auteure de l’étude.

Les droits de tous les consommateurs

L’étude d’Union des consommateurs a ceci de particulier qu’elle appuie son analyse sur les Principes des Nations Unies pour la protection du consommateur, soit le droit à l’information, le droit au libre choix et le droit à la sécurité. Selon l’auteure, pour que les jeunes consommateurs soient bien protégés, ces principes devraient être respectées ici. Or, actuellement, ils ne le sont pas. La situation est d’ailleurs dénoncée par Consumers International  et l’Organisation mondiale de la santé .

En ce qui a trait au droit à l’information, l’étude indique que, « par diverses stratégies, l’industrie alimentaire tente de camoufler l’information nutritionnelle sur ses produits de malbouffe, afin d’empêcher les consommateurs, dont les enfants, d’en voir les véritables effets sur la santé. »

Pour ce qui est du droit au libre choix, elle mentionne que « Sans avoir à sa disposition toute l’information pertinente sur un aliment, (…) il est impossible pour le consommateur de faire un choix libre et éclairé. »

Enfin, pour ce qui est du droit à la sécurité, il y est écrit que : « La sécurité des enfants est menacée par l’épidémie d’obésité en cours à l’échelle mondiale. »

 

Au Canada…

Dans son étude, Mme Gibeau examine les règles qui, au Canada, encadrent la publicité d’une manière ou d’une autre. À part des dispositions générales contenues dans quelques lois, il s’agit principalement de codes volontaires gérés par l’industrie elle-même, ce qui, pour la chercheuse, est loin d’être suffisant.

Les entreprises investissent beaucoup dans des think tanks et des organismes de recherche qui font la promotion des codes volontaires, dit-elle. Elles dépensent beaucoup d’argent dans des campagnes de publicité qui montrent l’importance de faire de bons choix individuels. Elles utilisent des stratégies détournées pour empêcher tout velléité d’encadrement. »

Élisabeth Gibeau

 

Ottawa a l’intention de changer les choses ou, du moins, l’a déjà eue. Car au moment de la réalisation de l’étude, le projet de loi S-228, qui s’inspirait de la législation québécoise, était à l’étude. On y proposait d’interdire « la publicité « d’un aliment mauvais pour la santé » destinée aux enfants de moins de 13 ans ». « Ce projet de loi a disparu du radar en 2019, peu avant les dernières élections fédérales, dit Mme Gibeau. Depuis, on n’en a plus entendu parler. »

 

… et ailleurs dans le monde

Mme Gibeau examine aussi ce qui qui se passe dans le monde en se penchant sur une étude de l’Organisation mondiale de la santé ainsi qu’en étudiant la situation dans quatre pays. Souvent, les règles établies ne s’appliquent qu’aux publicités télévisée, ce qui est décevant. « Seuls les pays nordiques ont une législation semblable à celle du Québec », dit la chercheuse.

Il y a aussi que dans plusieurs pays, on interdit la publicité sur la malbouffe plutôt que celle destinée aux enfants (c’est d’ailleurs ce qu’Ottawa s’apprêtait à faire). Or, pour Mme Gibeau, interdire la publicité destinée aux enfants est préférable. « Les dispositions sont alors plus faciles à appliquer, dit-elle. Car il devient alors possible d’interdire la publicité d’un aliment sans avoir au préalable à en mesurer le taux de sucre ou de sel. De plus, on dispose ainsi d’une loi concernant aussi d’autres produits, comme les jouets, qui peuvent également poser problème. »

 

Avantages et inconvénients de la loi québécoise

Même si elle est le modèle à suivre, la loi québécoise n’est pas parfaite. Elle ne protège que les enfants de moins de 13 ans – ce qui fait en sorte que l’industrie vise désormais leurs aînés –, et elle ne s’applique pas aux publicités que l’on trouve sur les emballages des produits ou dans les étalages des magasins.

Elle comporte cependant des avantages de taille, le principal étant qu’elle a en quelque sorte traversé l’épreuve du temps. « Au moment de son adoption, en 1978, des fabricants de jouets et des diffuseurs affirmaient qu’elle aurait des conséquences sur leurs ventes, voire qu’elle les mènerait à la faillite, dit Élisabeth Gibeau. Or, elle n’a pas mise à mal l’industrie du jouet, et les émissions pour enfants ont trouvé le moyen de survivre… »

Autre avantage important : elle a déjà reçu l’assentiment du tribunal. En effet, dans les années 1980, alors que les articles 248 et 249 de la loi québécoise étaient contestés, l’affaire s’est rendue devant la Cour suprême du Canada qui, à la majorité, a conclu à leur bien-fondé. Dans le jugement, on peut lire : « Le législateur a raisonnablement conclu qu’il fallait empêcher que les annonceurs exploitent les enfants soit en les incitant à acheter soit en les incitant à presser leurs parents d’acheter. » Cela est tout aussi vrai aujourd’hui.

L’étude

L’étude Publicité sur la malbouffe au Canada : Quel serait le meilleur encadrement ? (Union des consommateurs, juin 2019) s’intéresse à l’obésité infantile, conséquence de la malbouffe, et s’interroge sur la meilleure manière de la contrer. Après s’être penchée sur les Principes des Nations Unies pour la protection du consommateur – soit le droit à l’information, le droit au libre choix et le droit à la sécurité – et avoir établi qu’ils n’étaient pas respectés, elle analyse des règles mises en place au Canada ainsi qu’ailleurs dans le monde afin de déterminer quelles sont les plus efficaces. Son choix se porte sur les dispositions de la loi québécoise sur la protection du consommateur qui interdisent toute forme de publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans. Elle recommande donc au législateur fédéral de s’en inspirer.