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Alimentation et santé

Aliments produits de manière durable: tous en veulent, mais peu y ont accès

Par : Maryse Guénette
Crédit photo: Markus Spiske (UnSplash)

Coûts élevés, difficultés d’accès, manque d’information… Les obstacles sont nombreux pour quiconque désire se procurer des aliments produits de manière durable.

Vous aimeriez consommer principalement des aliments produits de manière durable, soit « des aliments produits localement, sans pesticides ou organismes génétiquement modifiés (OGM), en ayant recours à des pratiques de travail équitables pour les travailleurs agricoles et d’une façon qui assure le bon traitement des animaux d’élevage »? Vous n’êtes pas le seul.

Selon l’étude intitulée Une alimentation durable pour tous. Améliorer l’accessibilité des aliments produits de manière durable au Canada, publiée par le Réseau pour une alimentation durable (Food Secure Canada), une majorité de consommateurs aimeraient se procurer de tels aliments, et ce, qu’ils en aient ou non les moyens.

Pour Gisèle Yasmeen, directrice générale de l’organisme, il s’agit là d’une donnée importante, car elle fait tomber le stéréotype selon lequel seule une certaine bourgeoisie se préoccupe de son alimentation.

Notre étude montre que les ménages à faible revenu veulent eux aussi se procurer des aliments durables. Malheureusement, ils n’ont pas toujours les sous pour le faire. »

Gisèle Yasmeen, directrice générale du Réseau pour une alimentation durable

 

Les travailleurs et les animaux d’abord

Aliments bios, bonnes conditions pour les travailleurs, animaux bien traités… Il semble que les Canadiens n’accordent pas la même importance à tous ces critères. Ainsi, ce qui importait le plus aux 1 500 personnes sondées dans le cadre de l’étude, c’était que les aliments soient « produits d’une façon qui assure le bon traitement des animaux d’élevage » ou « sans que les travailleurs agricoles soient exploités » – pour quelque 60 % des participants, c’était « extrêmement ou très important ». Il s’agit là d’une des surprises de l’étude !

Les problèmes vécus par les travailleurs agricoles sont devenus très visibles avec la Covid-19, mais ils étaient là bien avant. »

Gisèle Yasmeen

Les participants ont aussi trouvé « extrêmement ou très important » la production sans pesticides (50 %) ainsi que la production sans OGM et la production locale (un peu plus de 40 %). Par contre, ils ont été moins soucieux à l’égard de la certification biologique des fruits et légumes – moins de 20 % leur accordaient la même importance. Devant notre étonnement, Mme Yasmeen dit : « Si ce n’est pas certifié bio, ça ne veut pas dire que ce n’est pas bio. Il y a beaucoup de petits producteurs qui n’ont pas les moyens de se faire certifier… Mais quand le consommateur connaît le fermier, il lui fait confiance. »

Cette phrase explique sans doute pourquoi le pourcentage des participants se procurant toujours ou souvent des aliments durables est le même, soit 30 %, chez les participants à faible revenu et chez ceux ayant un revenu plus élevé. « Les ménages pauvres doivent parfois choisir entre se loger et se nourrir, dit Mme Yasmeen. Mais parmi ceux qui vivent dans un logement abordable subventionné, il y en a sans doute qui disposent d’une somme d’argent qui leur permet de bien s’alimenter. Surtout s’ils se procurent leurs fruits et leurs légumes directement d’un producteur via un organisme comme Équiterre (à Montréal) ou Food Share (à Toronto). »

 

Des obstacles à l’achat

Malgré cela, l’étude indique que le prix des aliments produits de manière durable est le principal obstacle à l’achat, suivi de près par les difficultés d’accès – les participants ont opté pour ces réponses dans respectivement 50 et 31 % des cas.

Les participants aux groupes de discussion, des personnes à faible revenu ou souffrant d’insécurité alimentaire qui habitent dans des quartiers modestes, ont pour leur part affirmé avoir un accès réduit aux petites épiceries spécialisées et aux marchés fermiers. Or, c’est souvent là que l’on trouve les aliments produits de manière durable. Selon l’enquête, les personnes à faible revenu pourraient accéder aux épiceries spécialisées dans une proportion de 83 % (contre 93 % pour les personnes plus fortunées) et aux marchés fermiers dans une proportion de 75 % (contre 87 %).

À cela s’ajoutent des problèmes de mobilité : pour 33 % des participants, l’épicerie est trop éloignée de chez eux ou encore s’y rendre leur demande trop de temps.

La question du transport est un facteur important. Pour un ménage à faible revenu, l’autobus, c’est cher. »

Gisèle Yasmeen

Certaines personnes peuvent marcher, mais d’autres n’en sont pas capables. Notons que 50 % des participants à faible revenu ont mentionné avoir des difficultés à se déplacer ou à marcher.

Autre obstacle à l’achat : le manque d’information. Pour être en mesure de se procurer des aliments produits de manière durable, encore faut-il pouvoir les identifier. Or, seulement 24 % des participants à l’enquête ont affirmé qu’il était extrêmement, très ou plutôt facile de trouver les aliments produits « d’une façon qui assure le bon traitement des animaux d’élevage », et seulement 19 % d’entre eux ont eu la même opinion quant aux aliments produits « sans que les travailleurs agricoles soient exploités ».

Des participants aux groupes de discussion ont affirmé que ces lacunes en matière d’étiquetage auraient pour effet de miner la confiance des nouveaux arrivants, qui avaient l’habitude « d’acheter leur viande et leurs légumes directement auprès des agriculteurs ». D’autres ont mentionné que le sentiment d’être victimes de racisme ou de discrimination pouvait les amener à restreindre leurs choix alimentaires. Enfin, certains ont soulevé le fait que les personnes vivant dans des communautés très éloignées ou dans des déserts alimentaires rencontrent des obstacles particuliers.

 

Vers des solutions

Des propositions de solutions ont été présentées aux participants. Ainsi, des politiques publiques pourraient fournir un soutien aux agriculteurs locaux (pour leur permettre de développer des marchés faisant place aux aliments locaux et durables) et aux établissements publics (pour qu’ils puissent se procurer de tels produits). On pourrait aussi financer davantage les jardins communautaires et les marchés fermiers. Enfin, un revenu minimal garanti à tous les Canadiens ainsi que des subventions aux personnes à faible revenu aideraient à l’achat de fruits et légumes produits de manière durable. Ces propositions ont été approuvées dans une large mesure par les participants. Selon Mme Yasmeen, pour atteindre l’Objectif 12 de développement durable des Nations Unies et la stratégie du gouvernement du Canada pour la saine alimentation, il faudra bouger. « Il est urgent de faire quelque chose tant pour la santé des êtres humains que pour la santé de la planète elle-même. »

 

L’étude

L’étude Une alimentation durable pour tous. Améliorer l’accessibilité des aliments produits de manière durable au Canada (Réseau pour une alimentation durable, mai 2019) vise à savoir si les consommateurs à faible revenu accordent de l’importance aux aliments produits de manière durable et, le cas échéant, s’ils sont en mesure de s’en procurer. Elle explore également les obstacles qui se dressent devant eux ainsi que les politiques qui pourraient être mises en place afin d’améliorer les choses.

Pour arriver à leurs fins, les auteurs ont fait une recherche documentaire, organisé des tables rondes auxquelles ont participé 50 personnes à faible revenu dans six villes canadiennes et mené une enquête en ligne auprès de 1 500 Canadiens représentatifs de la population du pays. Ils se sont aussi entretenus avec 30 chefs de file en matière de sécurité alimentaire. Notons que ces derniers ont aidé à préparer les outils de recherche et proposé les pistes de solutions qui font l’objet des recommandations de politiques publiques.