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De nos collaborateurs

Responsabilité des professionnels – Bien comprendre la poursuite au civil

Par : CSF

Les consommateurs qui s’estiment lésés par un professionnel des services financiers ont un autre recours possible que celui de la plainte au comité de discipline de la Chambre de la sécurité financière où les membres de la Chambre peuvent se voir sanctionnés pour faute professionnelle. Ils peuvent aussi être poursuivis en responsabilité professionnelle.

Pour bien saisir en quoi consiste la responsabilité professionnelle, il faut d’abord comprendre le concept de responsabilité civile. Le Code civil du Québec (article 1457) rappelle que nous avons l’obligation de ne pas nuire aux autres et que nous sommes responsables des préjudices corporels, moraux ou matériaux que nous causons en manquant à ce devoir. Nous pouvons donc être condamnés à réparer un dommage causé à autrui.

« Cela s’adresse à tous les Québécois, pas seulement aux professionnels, précise Me Patrick Delisle, spécialisé en droit disciplinaire et des professions. On parlera de responsabilité civile professionnelle dans les cas où la faute qui entraîne le dommage advient dans le cadre de l’exercice d’un métier. » En d’autres termes, si un locataire provoque un incendie en laissant une cigarette mettre le feu à un matelas, c’est de l’ordre de la responsabilité civile. Si un électricien cause un incendie par une mauvaise installation d’un dispositif électrique, cela relève de la responsabilité civile professionnelle.

« Pour qu’une condamnation advienne, le demandeur doit pouvoir démontrer qu’il y a eu une faute et un dommage et qu’un lien de cause à effet existe entre cette faute et ce dommage. » Me Patrick Delisle.

Comme il s’agit d’un procès civil — et non criminel —, le demandeur n’a pas à prouver hors de tout doute ce qu’il affirme. Le juge doit trancher en fonction de la « prépondérance de probabilité ». Le demandeur (celui qui poursuit) doit démontrer que ses prétentions et arguments sont plus probables qu’improbables, ou encore qu’un fait a plus de chance de s’être produit que le contraire. La même règle de droit s’applique également lorsqu’un professionnel est poursuivi devant son comité de discipline.

« Cela complique la défense d’un professionnel, mais cette norme existe pour augmenter le niveau de protection du public », explique Me Marie-Claude Sarrazin, associée au cabinet d’avocats Sarrazin Plourde.

Une barre plus haute pour les professionnels

Dans un procès civil, le lien de causalité (cause à effet) entre la faute et le dommage constitue généralement l’élément le plus difficile à démontrer. C’est cependant un peu moins vrai lorsque l’accusé est un professionnel régi par un code de déontologie ou un règlement.

« Si l’on arrive à démontrer que le professionnel a contrevenu à une norme réglementaire ou une obligation, la cour peut présumer du lien de causalité puisque cette norme existe justement pour éviter un dommage », Maître Sarrazin

Ce serait le cas, par exemple, d’un conseiller qui aurait omis d’effectuer une analyse de besoin financier ou de respecter la convenance d’un produit ou d’un conseil et dont le client se plaindrait d’un dommage subséquent.

En 1975, le jugement de la Cour suprême dans l’affaire Morin contre Blais[1], qui concernait un accident de circulation entre une voiture et un tracteur, a confirmé cette présomption de causalité. La responsabilité de la collision revenait-elle au conducteur du tracteur qui n’avait pas pris tous les moyens pour demeurer visible ou à l’automobiliste, qui n’avait pas conduit avec l’attention et la prudence requise?

En parlant du Code de la route, le juge écrivait dans son jugement que :

« bon nombre de ces dispositions concernant la circulation expriment, tout en les réglementant, des normes élémentaires de prudence. Y contrevenir est une faute civile. Lorsque cette faute est immédiatement suivie d’un accident dommageable que la norme avait justement pour but de prévenir, il est raisonnable de présumer […] qu’il y a un rapport de causalité entre la faute et l’accident. »

Pour renverser la présomption de causalité, le professionnel devra donc effectuer une démonstration très convaincante que sa faute n’a pas causé le dommage qu’a subi le client. « En droit civil, on tente de déterminer si une personne raisonnable, dans la même situation, aurait agi de la même manière que l’accusé, rappelle Me Sarrazin. Dans le cas d’un professionnel, c’est la déontologie ou les règlements qui prévoient dans un code – à l’avance – ce que serait cet agissement d’une personne raisonnable. »

Réparer les dommages

Bien qu’elles visent toutes les deux la protection du public, la poursuite au civil présente une différence importante par rapport à une cause devant un comité de discipline. En droit disciplinaire, les discussions portent sur la faute. La personne qui poursuit n’a pas à démontrer un lien de causalité entre une faute et un dommage pour que le professionnel fautif subisse une sanction de la part du comité de discipline de son organisation professionnelle. Le demandeur doit simplement démontrer un manquement aux normes réglementaires.

« Le processus disciplinaire et la poursuite civile sont complètement séparés, mais la décision d’un comité disciplinaire peut avoir une influence sur le résultat d’une poursuite au civil », soutient Me Julie Chenette, avocate fondatrice de Chenette Boutique de litige. En effet, si un membre de la Chambre a été reconnu coupable d’une contravention au code de déontologie ou au Règlement sur la déontologie dans les disciplines de valeurs mobilières et que la même cause fait l’objet d’une poursuite civile, la décision du comité de discipline peut s’ajouter à la preuve déposée par la partie demanderesse.

L’objectif d’un procès au civil est d’obtenir une réparation des préjudices subis par le demandeur. Pour rétablir la justice, il s’agit de replacer ce dernier dans la situation dans laquelle il se trouvait avant de subir le dommage provoqué par l’accusé. Les sanctions concernent donc généralement le remboursement des dommages, pour combler par exemple la perte d’une indemnisation d’assurance ou le paiement en trop d’une prime, ou encore une perte financière liée à un placement qui ne respectait pas les règles de convenance.

Tous les membres de la CSF doivent contracter une assurance de responsabilité professionnelle. Cependant, il est bon de rappeler qu’elle ne protège pas de tout. « Dans la plupart des cas, ces assurances refusent de couvrir le professionnel lorsqu’il a commis une faute grossière ou volontaire ou une fraude et peuvent même décliner d’assurer sa défense dans ces cas-là », souligne Me Chenette.

Dans ce cas, l’avocat représentant la compagnie d’assurance joue en quelque sorte un double rôle : veiller aux intérêts de l’assureur, tout en défendant le professionnel. Il peut, par exemple, souhaiter régler un dossier hors cours si c’est avantageux pour l’assureur, même si le professionnel n’est pas d’accord.

« Les membres de la Chambre de la sécurité financière doivent suivre les règles et soigner tous les aspects de leur pratique, afin d’éviter de se retrouver une position très inconfortable dont les conséquences aussi bien financières que réputationnelles peuvent devenir très lourdes », rappelle Maître Chenette.

Les causes de ce type peuvent durer deux ou trois ans.

[1] Morin c. Blais. Jugements de la Cours suprême. 1975-10-07